14 Avril 2020
We Shall Overcome. Le vieux lutteur est de nouveaux en fleurs. Des fleurs énormes comme on en voit rarement. Bien à l'abri des bulldozers sur la parcelle de la mairie qui l'abrite, il a survécu à la canicule de l'été dernier et aux tempêtes. Il a survécu, rabougri, ayant perdu presque toutes ses branches et une grande partie de l'écorce de son tronc. Si il était contaminé par le Covid 19, il ne serait même pas admis en réanimation. Trop vieux ! Il faut laisser la place aux plus jeunes.
En attendant, il brandit son moignon pour faire un fuck à tous ces plus jeunes qui passent sur la route à ses pieds, à tous ceux qui estiment que des épaves comme lui sont inutiles et occupent à tort des mètres carrés de terrain qui seraient bien plus rentables en herbe ou en maïs. Déjà à son époque, dans le roman de Balzac, le Père Grandet avait fait abattre ses peupliers pour récolter davantage de foin. Le vieux lutteur, lui fait un fuck à tous ceux qui sont prêts à sacrifier hommes et arbres au nom de l'économie. A ceux qui ne jurent que par le béton et le pouvoir.
We Shall Overcome. Nous sommes comme lui, habitants de Les Voivres et du Val de Vôge. Nous sommes si insignifiants, si peu nombreux, sur le déclin et donnant l'impression que la moindre secousse un peu rude finira par nous anéantir, le moindre froncement de sourcils par nous faire plier, que pour beaucoup de décideurs nous n'existons même pas. Nous sommes invisibles et pourtant nous gênons. Il faut croire que nous avons encore trop de consistance et que nous ne sommes pas encore dans les limbes. Comment admettre que nous puisions, à l'égal de notre frère le vieux lutteur, être toujours debout et le revendiquer ?
Depuis plusieurs années, faute de naissances en nombre suffisant, les générations ne se renouvellent pas et les écoles se vident de leurs enfants. Nous sommes devenus des communes peuplées de vieux et voilà que cette nouvelle pandémie s'attaque tout particulièrement à eux. Pourtant nous survivrons car c'est sans doute notre faible densité de population qui a permis que nous soyons touchés plus tard et moins sévèrement pour le moment que d'autres secteurs. Nous survivrons car chacun se démène pour faire face à cette crise. Les initiatives se multiplient. Le marché de Bains les Bains est de nouveau ouvert depuis 15 jours et les acheteurs sont aux rendez-vous. La mairie et le restaurant du Pont du Côney mettent leurs douches à la disposition des routiers. Des bénévoles et des artisans fabriquent des masques. La mairie en distribuera aux administrés pour préparer la fin du confinement, ils peuvent également en acheter à Lucie Bouchard*. L'entreprise In Bô s'est lancée dans la production de visières.
We Shall Overcome. Nous survivrons car de tous temps, nous les bouseux, les ploucs, les sans noms, avons du nous battre pour vivre et pour survivre. Nous nous sommes agrippés bec et ongles à notre petite région où chaque grain récolté coutait plus de sueur qu'ailleurs, où chaque famille a versé plus de sang pour la France en 14-18 que dans les villes. Ceci ne nous jamais été compté ou à de telles doses d'apothicaire que c'était déjà presque une insulte. Que pouvait rapporter à notre voisine, Mme veuve Denise Munier, l'obtention d'un bureau de tabac quand il n'y avait certainement pas 10 fumeurs dans le quartier ? Maigre compensation pour la mort de son mari, Jules Munier, tué en août 1914. Nous avons vu partout la population baissée et pourtant nos communes sont toujours vivantes. Nous survivrons sans et même malgré nos gouvernants car nous savons que nous n'avons pas d'autres choix que de résister ou de mourir. Nous n'avons pas la possibilité comme le font les parisiens et les riches de tenter de nous réfugier ailleurs. Il nous faut tenir bon en restant sur place.
We Shall Overcome. Et un jour, ce confinement sera fini. Sans aucun doute progressivement, mais il finira. Il faut se préparer à ce moment. La première chose à prévoir sera sans doute des masques pour tous. Ce sera à chacun de s'en procurer en les fabriquant soi-même, avec ou sans l'aide des municipalités ou en tentant d'en acheter. Les productions et les achats contrôlées par l’État et les grandes régions n'arriveront jamais à satisfaire les besoins des citoyens si l'on en juge par le foutoir qu'ils mènent en ce moment à ce sujet. Les entreprises qui travaillent encore ou qui s'apprêtent à redémarrer vont également absorber une partie de la production.
We Shall Overcome et nous aurons enfin compris que le pouvoir centralisé de Paris, installé par Louis XIV, renforcé par Napoléon Bonaparte et peaufiné par des générations d'énarques a vécu et que nous avons le droit à la parole.
Car ni le temps ni les puissants ne pourront nous empêcher d'être des hommes debout.
* Vous pouvez la contacter pour en commander au 06 63 40 40 49
« Fleurs de cerisier
Qui ne connaissez le printemps
Que depuis cette année,
Puissiez-vous ne jamais apprendre
Qu’un jour vous devrez tomber. »
Ki no Tsurayuki (mort en 945)
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