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LES VOIVRES 88240

Quand le Val de Vôge a décidé qu'il ne voulait pas mourir

Biographie de Mr Pierre Broggini

Exeptionnel rendu des phtographies réalisées avec un appareil argentique.
Exeptionnel rendu des phtographies réalisées avec un appareil argentique.
Exeptionnel rendu des phtographies réalisées avec un appareil argentique.
Exeptionnel rendu des phtographies réalisées avec un appareil argentique.

Exeptionnel rendu des phtographies réalisées avec un appareil argentique.

Photo 1 :à l’instruction-photo 2 : en Allemagne-photos 3 et 4 : opération en Indochine, observation sur le terrain et mise en batterie d’un mortier de 60 m/m

Pierre BROGGINI nous a envoyé sa biographie que nous publions.

Nous retrouvons là le beau brin de plume qu'il avait déjà écolier quand il participait à la rédaction de La Chanson des Cerises

Nous le remercions pour cet article

PRÉAMBULE À UNE CARRIÈRE MILITAIRE

Rêver de grands espaces dans le fournil où j’exerçais la profession de boulanger, tout en pétrissant mes pâtes que je transformais en pain fantaisie n’était pas une utopie. Depuis la sortie de l’école primaire des Voivres, j’avais toujours en tête cette carte Taride, représentant toute l’Afrique du Nord jusqu’aux confins de l’Afrique noire, accrochée au mur au niveau de ma table d’écolier. Je ne me lassais pas de regarder ce grand pays, qui, à mon avis, devait être plein de mystère, il me fascinait, je lisais, relisais, Colomb Béchar, hamada du Draa, erg IGUIDI plateau du TANESROUF, grand erg occidental, ces grands espaces qui n’en finissent pas. Ah, qu’il doit être majestueux ce Sahara ! Je me pose une question : comment y accéder ? Est-ce en contractant un engagement dans l’Armée ? Est-elle présente dans cette région désertique ? Désireux d’en savoir davantage, je me présente au bureau de recrutement installé à la caserne Schneider à Épinal, je suis reçu par un officier me documentant sur l’existence des compagnies méharistes et sahariennes. Mon choix est fait, je m’engage au titre du groupe d’unités sahariennes de l’Ouest à Colomb-Béchar le 12 décembre 1946 pour une durée de trois ans. Adieu à mes parents, adieu à la brigade de four, je vous quitte pour d’autres cieux ! Je quitte Les Voivres un lundi matin en direction de Metz-garnison. Je suis pris en subsistance à la caserne Grandmaison à Metz Queuleu en attente de rejoindre le dépôt des militaires isolés au camp Sainte Marthe à Marseille. Je quitte la garnison de Metz par train de nuit, en ayant soin de regarder la campagne à partir de la Chapelle aux Bois jusqu’à la gare de Bains, en quête de souvenirs, pour arriver à Marseille Sainte Marthe le lendemain matin. À ma grande joie, je figure sur la liste des embarquements pour l’Algérie, elle est affichée au tableau d’informations, départ le lendemain matin à 9 heures, direction le port de Marseille, embarquement sur le paquebot « Ville d’Alger ». Me voilà loin des Voivres !!Et comme disent les bretons, je suis dans un pays de l’ailleurs !!

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L’ÉPOPÉE

LE SAHARA

COMPAGNIE SAHARIENNE PORTÉE DE LA ZOUSFANA

C’est le début d’une aventure, j’embarque sur un paquebot de ligne au port de Marseille en direction d’Alger. Je débarque un dimanche matin et suis admis au dépôt des militaires isolés situé à proximité du port.

Quel contraste par rapport à mon village natal ! Je fais une première visite en ville, une ville grouillante qui me paraît être tout en hauteur. Si Alger peut s’enorgueillir de l’appellation Alger la Blanche, par contre, des graffitis recouvrent certains murs de la ville : "Français, les allemands vous ont occupés, vous les avez chassés, vous nous occupez, nous vous chasserons", "Français, la valise ou le cercueil". C’est choquant !

À l’époque, la colonie française ne semblait pas y prêter attention. Au fur et à mesure de ma visite, je n’avais pas assez de jambes pour découvrir l’œuvre du colonialisme, de somptueuses résidences sur le front de mer, les commerces de la rue d’Isly, la grande poste, le monument aux morts d’Alger, et j’en passe.

Ce ne sont pas des mirages, c’est le travail de plusieurs générations de Français qui ont quitté la métropole pour s’installer, dans des conditions périlleuses, sur cette terre arabe, ce que m’apprend des ouvrages écrits par de laborieux pieds noirs.

Comme il est indiqué sur mon contrat, le lendemain je me présente à l’inspection des Territoires du Sud, rue Dupuch, à Alger, située dans un immeuble qui domine la ville. C’est en somme l’état-major de toutes les unités sahariennes.

C’est le commandant Mougenot, originaire de Mirecourt, une chance de rencontrer un officier vosgien et de lui parler de ma marraine originaire de sa ville, qui me reçoit et m’oriente dans mon choix saharien. Il est en possession du listing des compagnies sahariennes susceptibles de recevoir de jeunes engagés.

Je confirme mon choix initial : le groupe d’Unités de l’ouest saharien à Colomb Béchar, parmi toutes les compagnies réparties entre le Fezzan et la Mauritanie qui me sont proposées. Pour ma formation militaire, il m’affecte au 1er Régiment de Tirailleurs Algériens pour suivre obligatoirement le peloton des élèves gradés au bataillon européen d’instruction à Zéralda, avant de servir au Sahara. Je rejoins aussitôt ce camp d’instruction dans la forêt Saint Ferdinand entre Zéralda et Mahelma.

La première matinée est consacrée à un exposé relatif au commandement des militaires algériens musulmans et une théorie sur la religion musulmane avec différents conseils à appliquer lors des périodes de jeûne et surtout la prière.

C’est quelque chose de tout nouveau pour moi, avais-je déjà entendu parler de la religion musulmane ? Je ne le crois pas. Ce n’était pas à l’école des Voivres que l’on apprenait cela, il y avait d’autres matières à notre portée notamment l’histoire de France que l’on néglige aujourd’hui !

Ensuite une formation très poussée en combat dans la plaine de la Mitidja, une plaine riche d’orangeraies, le grenier des agrumes, ensuite topographie, parcours du combattant en vue d’accéder au grade de maréchal des logis dans ma nouvelle compagnie saharienne après avoir franchi les grades de brigadier et brigadier-chef, ce qui correspond à une période de douze mois minimum au Sahara, le jeune saharien devant faire ses preuves dans cette nouvelle activité.

Le peloton étant terminé, le général Leclerc nous ayant remercié et encouragé dans l’exercice de nos nouvelles fonctions, je rejoins Colomb Béchar en avril 1947. L’arrivée en gare des chemins de fer algériens de Béchar est mémorable par son caractère mouvementé. Des sahariens, dont je découvre l’uniforme, m’accueillent comme si j’étais un chef d’État ! C’est la tradition, paraît-il.

Me voilà à Béchar, la cité saharienne aux deux gares, celle où je viens de débarquer d’un wagon assez rustique.

La ligne reliant Perregaux, la gare de départ à Béchar terminus est à voie métrique. Les quelques wagons de voyageurs et fret sont tractés par une locomotive à vapeur, on se croirait au Far West.

La seconde gare présente un caractère de modernité, la population locale l’a baptisée "la gare Mer Niger". C’était un projet grandiose qui a pris naissance avant la seconde guerre, des ingénieurs envisageaient de relier Oujda au Maroc à Gao au Soudan français par une voie unique en longeant la piste de Bidon 5. Le chantier s’est arrêté à Abadla à environ 100 kilomètres de Béchar. Cette ligne sert à acheminer le charbon extrait de la mine de Kénadza située sur son parcours.

Cela dit, mon comité d’accueil m’entraîne dans ma nouvelle unité. Je suis présenté à l’officier des détails, chargé de mon incorporation, j’en déduis qu’une bonne ambiance règne dans cette unité.

Le groupe d’unités sahariennes est dissous le 1er mai 1947 en raison de la réorganisation des unités sahariennes. Je rejoins la nouvelle compagnie qui prend l’appellation de "compagnie saharienne portée de la Zousfana", du nom d’un oued (rivière) qui, théoriquement se jette dans la Saoura au moment des pluies. Cette compagnie est scindée en trois pelotons : le peloton Ferrari, le peloton Coupat et le peloton Casta.

Je suis affecté au peloton Ferrari. Ce peloton, du nom de l’officier qui le commande, se compose d’un maréchal des logis chef, de deux brigadiers-chefs européens, dont moi-même et d’une trentaine de musulmans, commissionnés, émanant de la tribu des Chambas.

Il faut savoir que les musulmans qui servent dans les compagnies sahariennes, ne souscrivent pas de contrat. Ils sont simplement commissionnés et libres de rompre leur participation au sein de leur unité du jour au lendemain. À noter que pour assurer la sécurité nocturne de notre bordj (lieu de cantonnement), nous disposons d’un peloton de berbères marocains, également commissionnés, provenant des zones sahariennes attachées au Maroc.

La vie au bordj est rythmée par des séances d’instruction de nos chambas, des cours de langue arabe et surtout l’apprentissage du morse, moyen de communication entre les unités et leurs bases au Sahara.

J’accède au grade de brigadier le 1er novembre 1947 et à celui de brigadier-chef le 18 février 1948. J’obtiens le brevet de chef de groupe, aptitude à commander une dizaine de musulmans pour la plupart ne parlant pas notre langue.

Pour effectuer les missions qui incombent à notre peloton, nous disposons de cinq véhicules américains 6x6, peints en jaune sable, équipés d’échelles de franchissement et de poste radio, celui du chef comporte en outre un gyrocompas, instrument nécessaire pour se diriger à travers les dunes en hors piste, car sans cela l’erreur peut être dramatique, ce qui est arrivé à des « touristes » inconscients à plusieurs reprises, le manque d’eau ne pardonne pas !

Le chef de peloton est armé d’un colt, gradés et hommes ont chacun un mousqueton, dit de cavalerie, modèle 1893, plus, un fusil-mitrailleur 24/29, comme arme collective. Nous disposons aussi d’un poste radio, phonie et morse, pour assurer des liaisons entre pelotons et qui nous permet de recevoir la presse d’Alger.

L’habillement et la nourriture sont à notre charge. Nos vêtements sont typiquement sahariens : les naïls pour chaussures, le sarouel avec la croix du sud brodée sous chaque poche, le boubou, (veste saharienne) la gandourah, (sorte de survêtement) la djellabah, les burnous noir et blanc, des vêtements typiquement algériens. À la parade, nous endossons le burnous blanc et par dessus le burnous noir et coiffons le képi bleu ciel.

Je voudrais que mes parents puissent me voir dans ma tenue saharienne. Nous recevons une solde mensuelle, payée en espèces, par l’officier des détails, correspondant aux charges, complétée par une prime Extrème-Sud, assujettie à l’impôt cédulaire (à l’époque pas d’impôt sur le revenu !).

Les missions qui nous sont confiées comportent de multiples facettes, c’est-à-dire : reconnaissance des points d’eau, contrôle des populations oasiennes avec le concours d’un officier des affaires indigènes parlant couramment la langue arabe, reconnaissance des pâturages pour les besoins des compagnies méharistes, protection des spécialistes en géologie appliquée effectuant de la prospection au moyen d’appareils qui nous sont inconnus (nous sommes discrets sur ce travail).

Ils remplissent des cantines de pierres que nous acheminons au moyen de nos véhicules à Béchar. Nous effectuons de longues reconnaissances dans les ergs (sols constitués de dunes de sable): l’erg Iguidi, l’erg Chech et le grand erg. Nous contrôlons et fouillons les nomades qui parcourent le Sahara, de points d’eau en points d’eau, avec tout leur barda.

Il existe, en effet, un trafic d’armes entre la Libye et le Maroc, portant sur des armes d’origine italienne et allemande en provenance des champs de bataille de la Cyrénaïque. Il faut reconnaître que ces populations apprécient les armes.

Nous croisons des caravanes dont les dromadaires sont chargés de blocs de sel en provenance de la mine à ciel ouvert de Taoudéni qu’ils vont livrer au Rio del Oro. Notre limite d’action Sud est représentée par le tropique du Cancer, à l’Ouest, par le Rio del Oro et à l’est par une ligne imaginaire Béchar-Timimoun-Aoulef. En résumé, nous couvrons tout l’ouest saharien. Nos missions dépendent du travail à réaliser sur le terrain ; elles peuvent durer une ou plusieurs semaines.

C’est la vie rêvée, dormir à la belle étoile, après un crépuscule brûlé par le soleil, dans une "marguette" c’est un emplacement creusé dans le sable pour dormir à l’abri du vent rasant après une journée de recherche de puits ou de contrôles divers. Tuer une gazelle pour approvisionner la popote. Rouler sur le reg dont les cailloux saillants lacèrent les pneus des véhicules. C’est un sol que les dromadaires n’apprécient pas en raison de blessures aux pieds. Rouler sur la hamada, un sol assez résistant qui autorise à avancer à vive allure. Par contre, le sable pourri, que l’on appelle localement fech fech est la hantise du conducteur, c’est une krechba assurée, c’est-à-dire un désensablement pour libérer le véhicule du piège dans lequel il est tombé. Les dromadaires ne rencontrent pas ces problèmes, ils avancent plus lentement en raison de la pénétration de leurs pattes dans ce sable. Nous rencontrons aussi de la tôle ondulée sur certaines pistes. C’est un phénomène consécutif à l’action du vent et aux pneus des véhicules au ras du sol. Les lames de ressort de nos 6x6 ne résistent pas aux trépidations provoquées par ces ondulations transversales. Ce sont les aléas de la piste.

Mon peloton a effectué un premier séjour de six mois en 1949 à la compagnie méhariste de la Saoura à Tindouf, puis un second, en 1950 à la même compagnie. Nous formons un groupe d’appui et de soutien, auprès des méharistes, nous assurons le ravitaillement de pelotons méharistes en longue mission, de "bergers" en zone de pâturage. Ces derniers étant chargés de suivre les zones arrosées d’averses sporadiques pour permettre la meilleure alimentation possible des dromadaires, les uns appartenant à l’État, les autres aux méharistes. Chaque méhariste, quel que soit le grade, est dans l’obligation de posséder son méhari.

Nous assurons des liaisons avec les postes d’Ain ben Tili et Bir Moghrein (fort Trinquet) sur le territoire mauritanien tenus par des opérateurs radio, détachés des régiments de transmissions d’Afrique Occidentale Française. Nous assurons également des liaisons avec les compagnies méharistes coloniaux de Mauritanie appelés "groupe nomade de Chinguetti et groupe nomade d’Akjoujt". Nous effectuons des visites à Adrar, à la compagnie méhariste du Touat, à Aoulef et à In Salah ainsi que des séjours de courte durée à Tabelbala qui deviendra par la suite, en raison des événements, le bordj de la compagnie saharienne portée de la Zousfana. Un jour, nous partons en mission dans l’extrême-sud marocain, d’abord à Ouarzazate, ensuite à Akka, pour participer à un moussem, une grande fête musulmane ou la chamelle est égorgée, une signification émanant du Coran.

Une mission dont je garde souvenir est celle de la recherche d’un bordj abandonné en plein erg Iguidi. Ce bordj, ne comportant qu’un local surmonté d’une kouba, (dôme en guise de toiture), genre marabout, a été édifié par la légion étrangère lors de la pacification du Sahara. Pour y accéder, le franchissement de dunes, véritables falaises, s’imposait pratiquement à pied. À force de tâtonnement avec le gyrocompas et une vague carte, nous avons trouvé Bou Bernous, son bordj baptisé sainte Marie et son puits ensablé. Chacun a gravé son nom sur la kouba à l’aide de la pointe de son couteau. Nos musulmans se sont empressés à faire la prière, agenouillés devant le bordj, la tête descendant vers le sol, en direction de La Mecque, pour eux, Bou Bernous devait être un lieu sacré. Je rappelle qu’en mission, dès que nos chambas nous le demandaient, nous faisions la halte pour leur permettre de faire la prière. C’était un moment de silence

Un jour, le commandement m’a détaché au bordj de Béni Abbés à la disposition du commandant de secteur, pour faire des missions de contrôle de la population locale. Je me souviens avoir reçu l’ordre d’arrêter un agitateur venu du Nord. Mission accomplie avec les moghasnis du bordj dont je doutais, quelque peu, de leur loyauté.

En résumé notre rôle a plus un côté social que militaire, néanmoins nous nous tenons sur nos gardes et si nous sommes exposés à toute attaque lorsque nous sommes en mission, par contre nous parons à toute éventualité lorsque nous sommes en repos dans nos bordjs.

À l’époque nous avions déjà eu connaissance de l’arrestation d’agitateurs venus d’Alger pour prêcher la nécessité de recouvrer l’indépendance. Il est vrai qu’il y avait la certitude de trouver du pétrole, pour preuve, la société nationale de recherche du pétrole en Algérie (S.N.REPAL) était très active dans l’est saharien. Les ingénieurs tentaient de nous récupérer à l’issue de nos engagements avec l’Armée, certainement en raison de notre adaptation aux conditions de vie locales et le fait d’être célibataire. Un seul saharien de deuxième classe a répondu favorablement à l’appel de la Société, son salaire a bondi !

Certes, la vie saharienne était très attrayante, mais il fallait se nourrir, c’est un paramètre vital. Comment nous organisions-nous ?

Selon notre position, à Béchar, nous profitons de la popote, approvisionnée par des vivres de l’intendance, de la viande du boucher local, exclusivement du dromadaire ou du mouton. De temps à autre, nous nous offrons un repas chez un restaurateur espagnol, restaurateur occasionnel.

À Tindouf , le ravitaillement est assuré par un sous-officier de l’intendance, en liaison avec l’intendance d’Agadir, la viande provient du boucher local : poulet, gazelle, chamelon. Par contre, en mission, dont la durée est variable en fonction du trajet, nous sommes soumis au régime de la chorba (soupe de pâtes, sauce tomate, oignons), bien épicée et de la kessera, sorte de galette cuite dans un foyer aménagé dans le sable.

Notre boisson est surtout constituée de thé vert ou de café, à l’eau saumâtre de plus ou moins de mauvais goût, selon le puits, que l’on croit limpide quand on la regarde dans les foggara (sorte de canalisations souterraines). Elle est stockée et transportée dans des guerbas, des peaux de chèvre, enduites d’un goudron végétal.

Avant de partir en mission, nous achetons les vivres nécessaires, à Béchar, chez le commerçant juif, à Tindouf chez le petit commerçant local, l’intendance ne nous fournissant pas les pains de sucre (kaleb), ni oignons, ni épices. En tout état de cause tout est payant.

Durant mon séjour, j’ai vécu deux faits notoires, hormis des petits incidents entre tribus.

Le premier est la disparition du général LECLERC dans un accident d’avion à Ménahba, à cinquante kilomètres de Béchar. Ce 27 novembre 1947, alors que nous étions sur la place des Chameaux, l’arme au pied, nous recevons ordre de rentrer au bordj, la prise d’armes en l’honneur de Leclerc est annulée et pour cause, l’avion transportant Leclerc et son staff vient de se cracher, il n’y a aucun survivant.

Il en a résulté une énigme qui n’a jamais été résolue : treize corps gisent au sol atrocement mutilés, alors que douze personnes figurent sur le manifeste de l’avion au départ de la Sénia. Sur ordre de l’Etat-major, mon capitaine, un camarade et un groupe de protection, nous nous sommes rendus sur les lieux de l’accident quelques jours après l’accident, dans le but de rechercher des éléments relatifs au treizième passager. Sa présence dans cet avion n’a jamais été résolue. Nous avons récupéré une crosse de canne ornée de cinq galons, une plaque d’identité et plusieurs objets hétéroclites que nous avons remis au 2ème bureau. Béchar a vécu trois journées intenses de deuil avec veillée des corps à l’hôpital militaire.

Le second fait est la disparition de six ingénieurs du centre d’essai d’engins spéciaux qui venait de s’installer sur la Bargua (plateau dominant la localité) de Béchar, à proximité du terrain d’aviation. Un jour, la population locale a été stupéfaite d’entendre une formidable explosion, ce qui n’était pas habituel. Renseignement pris, il s’agissait d’un V2, arme destructrice, utilisée par la Wehrmacht, dans les années 1942/1943, pour détruire Londres. Ces armes étaient lancées depuis le nord de la France au moyen de rampes de lancement. Selon toute vraisemblance la mission du centre d’essai d’engins spéciaux était de tester des engins récupérés lors du conflit avec le Reich. C’est au cours d’un essai, qu’un V2 a explosé sur sa rampe de lancement tuant les ingénieurs de l’armement (source locale militaire), il n’y a pas eu de cérémonie d’adieu, comme ce fut le cas pour le général Leclerc.

C’est avec regret que j’ai quitté le Sahara. J’avais dessein d’entrer dans la police chérifienne dont le recrutement nous parvenait par les ondes. J’ai rempli le dossier d’admission à l’école accompagné d’un certificat médical délivré par le médecin capitaine de Colomb Béchar faisant mention de ma taille : 169 cm. Le dossier m’a été retourné avec la mention « taille exigée 170 cm » fermer le ban !

Sur conseil de mon ancien commandant de compagnie, je dois contracter un nouvel engagement au titre d’une unité stationnée en Allemagne afin de parfaire mon instruction militaire, aussitôt dit, aussitôt fait : 20ème bataillon de chasseurs portés et pour quelle raison le choix de ce bataillon ? J’aurais pu choisir le 9ème régiment de tirailleurs marocains, étant familiarisé avec leur culture, leurs habitudes et leur langage ! Mektoub, « c’était écrit » comme ont l’habitude de dire les musulmans, ce qui veut dire c’était prévu sachant que l’eau du ruisseau ne fait jamais marche arrière

TUBINGEN (R.F.A.)

20ème BATAILLON DE CHASSEURS PORTÉS

Ainsi, cinq années de vie saharienne se sont écoulées j’ai fait une expérience qui valait d’être vécue. Cinq années à dormir sur un lit picot ou dans la marguette. Au fait, nous est-il arrivé de dormir sur un sol radioactif ? Nous n’avions pas de compteur de particules Geiger pour le détecter, nous n’y pensions pas et à l’époque le sujet n’était pas d’actualité. Je dirai que cette vie saharienne exige un tempérament de rigueur, chacun se donnant à son travail. Le Sahara est un pays dont les nuits sont froides et les journées très chaudes, le soleil y est très présent. Dans cet espace sans limites et d’une rudesse presqu’inhumaine, les Touaregs, les Chambas, les Ouled Naïls, les Réguibats sont rois et propriétaires des lieux tout en s’ignorant les uns des autres. L’ensoleillement est si important que le gouvernement algérien a l’intention d’installer des hectares de panneaux voltaïques en vue de produire de l’électricité, selon une information captée dans un reportage télévisé. Adieu Sahara, un jour, tes intérêts économiques te transformeront en eldorado, tu recèles du pétrole, du gaz, du minerai de fer, du manganèse, de l’uranium et d’autres ressources et à mon avis, tu es le plus riche désert du monde.

Déçu de ne pas être autorisé à me présenter au concours de la police chérifienne, sur conseil de mon capitaine, je contracte un rengagement pour le 20ème bataillon de chasseurs portés ayant quartier à Tubingen (Allemagne) afin de parfaire ma formation militaire, c’était un grand besoin.

Je n’étais pas familiarisé avec la discipline d’un quartier, les postes de garde, les services communs. Tout cela, je devais l’apprendre.

Je rejoins Tubingen, C’est une autre ambiance, je reçois mon paquetage bleu chasseur et la fourragère jonquille, il y a des traditions auxquelles il faut s’habituer, par exemple, apprendre le refrain du 20ème, qui au jour d’aujourd’hui a disparu de ma mémoire. On ne doit pas dire jaune mais jonquille et le sang qui circule dans nos veines est bleu jonquille, toute erreur de langage est sanctionnée.

Peu de temps après mon arrivée, j’ai accédé au grade de sergent-chef. Le commandant de compagnie m’a aussitôt confié la responsabilité de la section DCA (défense contre avion), un half-track de commandement et quatre half-track, chacun d’eux équipé d’un affût tourelle M 16 à quatre mitrailleuses 12/7 et une moto BMW de liaison. L’armement et les matériels sont entreposés dans un local réservé à cette section. J’avais tout à apprendre ! je me suis mis au travail tout en instruisant le personnel qui m’était affecté. Nous avons participé aux écoles à feu à Stetten, tirs à partir des tourelles sur cibles mobiles, aux manœuvres de la 5ème division blindée à Munsingen.

Pour me permettre d’accéder au grade supérieur, je me présente au certificat interarmes, que j’obtiens avec une moyenne honorable. Suite à ma demande, le général Loth, commandant la 5ème division blindée, à laquelle appartient le 20ème B.C.P., m’autorise à prendre pour épouse : Madeleine Baunin, mariage contracté à Hautmougey (Vosges) le 14 août 1952. Ainsi, marié, j’ai droit à un logement, le bureau de garnison de Tubingen m’affecte un appartement meublé dans une villa réquisitionnée pour les besoins de l’Armée. Nous y sommes restés à peine un an.

De temps à autre, on apprend le départ d’un sous-officier pour servir en Indochine. Le conflit nécessite beaucoup de cadres et certains d’entre eux y retournent pour la seconde ou la troisième fois… En tout état de cause chaque gradé est inscrit sur une liste dite “ tour de départ sans famille ”.

Le 15 juillet 1953, l’état-major me notifie mon affectation, je suis mis à la disposition du général, commandant les F.T.N.V. (Forces terrestres du nord Viet-Nam). Je libère mon appartement, mon épouse se replie dans son village d’origine, je passe mes consignes de chef de section à mon successeur, telles sont mes obligations avant d’embarquer sur le cargo mixte Sontay, à Marseille le 10 aoùt 1953.

À bord, nous sommes cinquante-deux passagers : officiers et sous officiers, à destination de Saïgon. Nous débarquons le 11 septembre 1953 après 32 jours en mer avec escales à Port Saïd, Djibouti, Colombo, Singapour. Nous aurions souhaité que la croisière se prolonge, hélas, il fallait mettre pied-à-terre et dans quel pays ?

Les douaniers vietnamiens nous expriment leur satisfaction de nous accueillir par une fouille complète corps et bagages, plusieurs sous-officiers sont obligés de se déshabiller dans des cabines réservées à ce genre d’activité. L’un d’entre eux était en possession de piastres qu’il avait conservées lors de son premier séjour. Étant en infraction, il devait s’acquitter d’une amende sur le champ, or ne disposant pas assez d’argent, les douaniers ont confisqué, outre les piastres, sa chevalière. Pour qui nous prennent-ils ? Le commandement local tolère de telles pratiques, c’est impensable, il ne nous soutenait pas ! , nous quittons les lieux avec le ressentiment d’une injure. On se pose la question de savoir ce que nous venons faire dans ce pays, car à l’arrivée nous sommes considérés comme des malfrats. Et que dire du regard des policiers de la police des frontières, on a l’impression qu’ils nous méprisent.

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INDOCHINE

3ème BATAILLON DU 2ÈME RÉGIMENT DE TIRAILLEURS MAROCAINS

Je rejoins le camp Pétruski où je suis hébergé dans l’attente de lire mon nom sur les listes d’affectation des nouveaux arrivants. Quelle ambiance à Pétruski ! Il y a ceux qui rejoignent les unités opérationnelles et ceux qui sont affectés à l’encadrement du camp, c’est-à-dire du bon côté de la barrière, appartenant à l’arme coloniale, ils sont les maîtres des lieux et le font savoir.

Le lendemain, j’apprends que je suis affecté au 3ème bataillon du 2ème régiment de tirailleurs marocains, ayant garnison à Marrakech, opérationnel au Nord Viet-Nam, actuellement en mission au Cambodge, selon l’ordre de mutation. Ce bataillon est intégré au groupement mobile n°5, comprenant, en outre, deux bataillons du 2ème Régiment étranger d’infanterie, du 26ème Bataillon de tirailleurs sénégalais et du groupement d’artillerie coloniale d’Afrique occidentale française équipé de canons de 105m/m. Je n’ai pas le temps de visiter SaÏgon, je dois rejoindre par convoi protégé, au cul d’un GMC, la ville de Phnom-Penh où je suis attendu par un élément de la base arrière.

J’accomplis les formalités administratives relatives à ma famille, adresse de la famille en cas de décès, à la solde mensuelle, une partie pour mes besoins, une partie pour mon épouse sous forme de délégation et un placement obligatoire sur un livret genre caisse d’épargne. Je reçois la plaque d’identité divisible en deux, une partie pour l’administration, l’autre pour le cercueil, à porter obligatoirement en pendentif au cou.

Le Chef de bataillon m’invite à rejoindre la 10ème compagnie, commandée par le capitaine Noël, en opération dans les plantations d’hévéas à la recherche d’un rebelle surnommé “ bakout ” (doigt coupé) qui sème la terreur dans cette région. Mon capitaine me confie la 2ème section de grenadiers voltigeurs, dotation armes : P.M. Thomson et fusils Remington, origine U.S.A., grenades offensives et défensives, origine France.

J’ai sous mes ordres un sergent marocain, adjoint, un caporal-chef, chef de groupe avec une quinzaine d’hommes, un autre caporal-chef, chef de groupe, avec une quinzaine d’hommes, une ordonnance, un radio et un agent de liaison, ce qui fait environ trente-cinq hommes. Ces hommes sont originaires de tribus diverses de l’Atlas, notamment d’Azilal et de Tahanaout, des schleus, pour la plupart ne parlant pas un mot de français, venus tout droit de Marrakech. Hormis le sergent et les petits cadres, militaires de carrière mais sous contrat renouvelable, les tirailleurs, tous jeunes, des boujadi, prélevés dans leur douar avec une carotte au bout de la perche, sous contrat de trois ans et dès leur engagement reçoivent une formation accélérée à Marrakech avant d’être acheminés en Indochine. Ici, pas question de faire la prière. Aussitôt, nous participons aux patrouilles quotidiennes dans les plantations d’hévéas pour tenter de capturer le rebelle. Il n’y a pas la moindre trace de “ bakout ”.

Une semaine après mon arrivée nous sommes acheminés par avion à Hanoï et par voie routière à la base arrière à Din-Bang, un village de rizière situé à environ trente kilomètres d’Hanoï. Le capitaine adjudant major effectue une revue de détail, le sac à dos doit comprendre les affaires de toilette, la boîte de ration de combat, une couverture et une unité de feu (cartouches en réserve). Il est examiné et éventuellement complété, nous sommes tous prêts pour reprendre les opérations dans la région de Vinh-Yen, Phuc-Yen, Doan-Hung et Hoa Binh au nord ouest d’Hanoï.

En fin septembre, début octobre 53, nous recevons une note d’information émanant du Maroc, très mal accueillie par nos tirailleurs : Mohamed V, leur souverain vient d’être arrêté par l’autorité française et éloigné de Rabat, avec sa famille. Le pacha El Glaoui de Marrakech est chargé d’expédier les affaires courantes du Royaume selon la note. Pour nos tirailleurs, c’est inacceptable, la France vient de commettre un crime de lèse-majesté. Le lendemain, nous apprenons qu’un sergent marocain enragé vient de tuer sept officiers français d’un bataillon frère, au moyen de son pistolet-mitrailleur Thomson. Des consignes nous sont données, il y a lieu de se tenir sur ses gardes … L’orage passé, nous reprenons notre progression quotidienne bien que ralentie par des tirs sporadiques émanant de petits groupes du viêt-minh très mobiles, vêtus d’uniformes noirs et de casques en latanier.

Au cours d’une action en pleine rizière, je surprends un guetteur viêt-minh porteur de jumelles et d’un compte-rendu rédigé à la machine à écrire faisant état de nos déplacements, c’est mon premier prisonnier que je fais conduire au P.C. du bataillon pour interrogatoire, le P.C. disposant d’un interprète local.

Nous faisons face à des engagements plus intenses avec les combattants viêt-minh, ce qui nécessite un appui aérien au moyen de chasseurs “ Corsaire ” de l’Aéronavale chargés de mitrailler les positions adverses ou de bombardiers B26 “ Marauder ” larguant des bidons de napalm. Nous recevons aussi l’appui de l’artillerie du groupement dont les tirs d’obus de 105m/m sont réglés par un officier liaison observation. Nous comptons dans nos rangs des blessés par balle ou éclats de mines antipersonnelles et quelques tués, dont le porteur du poste radio de notre commandant de compagnie, mais dans ce métier, nous ne sommes pas particulièrement émotifs. Nous sommes entraînés à tuer ou à être tués.

C’est au cours d’une opération sur un piton dominant la rizière que je suis blessé le 24 octobre 1953 par une mine, à mes côtés, mon agent de liaison a la jambe gauche déchiquetée. En marchant, par inadvertance, j’ai actionné le piège, dissimulé sous de l’herbe, qui a mis en œuvre le détonateur de la mine à hauteur de mon marocain.

Le médecin intervient pour nous faire une piqûre de pénicilline. Nous sommes pris en charge par les ambulanciers qui nous acheminent à l’hôpital Lannesan à Hanoï. Nous sommes déposés au triage chirurgical où une centaine de blessés, en provenance des combats de l’opération Brochet, gémissent en attente de transfert dans une des six salles d’opération. Blessé à six heures du matin, je suis admis en salle d’opération à dix-huit heures pour extraire l’éclat logé dans ma cuisse droite. Je ne reverrai pas mon compagnon, car il a été rapatrié sanitaire au Maroc.

Après dix jours d’hôpital et trois jours de convalescence à la base arrière, le commandement m’octroie la croix de guerre T.O.E. avec étoile de bronze. Enrichi de cette décoration, je demande à rejoindre ma section en rizière.

Le commandant de compagnie me propose de quitter la 2ème section au profit de la section engins et mortiers de la compagnie, soit en dotation armement : un mortier de 60m/m et une mitrailleuse de 7/62 avec environ trente-trois marocains avec arme individuelle. Je n’ai pas de sous-officier adjoint, je dispose d’un caporal-chef très compétent et d’un caporal pointeur que j’apprécie. Aussi légère qu’était ma section de grenadiers voltigeurs par contre, ma section mortier et engin est une section lourde. Chaque pourvoyeur du mortier est doté d’une chasuble en plus du sac à dos pour le port des obus et les pourvoyeurs de la mitrailleuse portent la caissette de cartouches à la main.

Les opérations se poursuivent quotidiennement, nous traversons des villages pratiquement abandonnés. Nous dormions dans des cagnas ou à même le sol, tout habillé et recroquevillés sur la terre humide. Un jour, grâce aux explications d’un prisonnier, je localise une galerie avec bouches d’aération où se terrent des viêt-minh avec armes et nourriture. Pour ce faire, j’ai décodé un dessin gravé sur un poteau d’angle d’une cagna indiquant la direction et la distance du terrier dont l’entrée est obstruée par un bouchon en paille de riz et couvert de terre. Dans un souterrain à trois niveaux, après m’être assuré que les occupants étaient sortis, j’ai récupéré un sac de courrier, un sac d’argent Ho Chi Minh, billets imprimés sur feuille de bambou, un sac de tracts imprimés en français “ le vrai visage de Navarre ” (l’ancien général commandant en chef le Nord Viêt-Nam), des jumelles, des bidons d’eau et de la nourriture. Je remets le tout au 2ème bureau.

De temps à autre, nous capturons des zukids, ces civils, qui nous harcèlent sans cesse par des tirs sporadiques, porteurs d’une arme d’origine étrangère ou de papiers compromettants. Un jour, nous encerclons une grosse cagna en pleine rizière. Tous les occupants sortent sans résistance, ce sont de très jeunes gens, filles et garçons. Après interrogatoire, l’interprète du bataillon, affirme qu’il s’agit d’une école d’infirmiers que nous laissons libres.

Le 24 décembre 1953, nous apprenons par radio que le général Giap, ce général qui n’avait pas besoin d’une table de camping pour lire ses cartes d’état-major, ce grand chef viêt-minh nous accorde une trêve de 22 à 24 heures, deux heures de répit. Peu nous importe, il n’y a pas de réveillon, nous devons nous reposer car il faut savoir que toutes les nuits, des explosions sporadiques se font entendre afin que nous ne puissions pas nous reposer.

Effectivement notre zone d’action a connu un peu de calme. Minuit sonné, les tirs ont aussitôt repris. La fatigue se fait sentir dans les unités, nous sommes sans cesse en éveil, nous avons conscience de cette guerre sournoise, truffée de pièges, de mines anti-personnelles, d’un ennemi invisible, qui nous jugule par ses astuces. On ressent, chez eux, ce besoin d’indépendance bien que mon commandant de compagnie ait cru à une victoire militaire avant sa mort ! Nous étions à un contre mille !

Un jour, nous apprenons qu’un poste en rizière, commandé par un adjudant-chef européen et quatre-vingts tirailleurs marocains, était aux mains d’une horde d’un millier de combattants viêt-minh !

À la mi-janvier 1954, l’articulation du groupe mobile subit un changement. Ce groupe devient le groupement mobile n°7, composé d’un bataillon du 2ème régiment étranger d’infanterie, d’un bataillon du 2ème régiment de tirailleurs marocains, du 26ème bataillon de tirailleurs sénégalais, qui ne sera jamais engagé, une troupe peu sûre, du groupe d’artillerie coloniale et d’un bataillon de la nouvelle armée viêtnamienne (T.D.K.Q.). Ce dernier comporte de jeunes éléments vietnamiens fraichement incorporés.

C’est à cette époque que le général Cogny, commandant les forces terrestres du Nord Viêt-Nam a décidé de nous inspecter. Nous avons ordre de cesser les opérations et de faire mouvement sur un terrain situé à proximité du canal des Rapides, pas loin d’Hanoï où il y a une batterie de canons de 155 en position de tir. L’intendance nous prête des tenues de combat neuves à rendre à l’issue de la prise d’armes. Impensable !. Le groupement est en place pour accueillir le général qui arrive escorté d’autos mitrailleuses AM9. Il inspecte les troupes, s’estime satisfait de notre travail de reconquête du pays (illusoire) et repart aussitôt à Hanoï. Il ne nous a pas annoncé notre départ pour Luang-Prabang, aussi, dès les lendemains, nous sommes rassemblés sur le terrain de Gialam pour embarquer dans des DC3 par sticks de vingt hommes à destination de la capitale laotienne.

Parallèlement, des unités font mouvement sur Dien-Bien-Phu pour organiser la trop célèbre cuvette dominée de toutes parts par des pitons. Notre nouvelle mission consiste à intercepter les combattants venant du sud, chargés d’acheminer des armes et du ravitaillement, soi-disant que les charges sont réparties sur des bicyclettes et que cette catégorie de cyclistes ne se déplacent que la nuit ou alors le jour si les couverts le permettent.

Pour traquer ces pourvoyeurs, nous effectuons chaque jour de longues marches harassantes à partir de notre base installée sur un piton en pleine montagne. C’est au cours de l’une d’elles, que ma compagnie, la première à marcher, est arrêtée par le tir d’une arme automatique située sur un glacis dénué de végétation et dominant la piste. Mon capitaine me donne ordre d’effectuer un tir. Aussitôt, mon caporal met le mortier en batterie et sans se servir de l’appareil de pointage, tandis que je garnis les ailettes de gousses de poudre, arrose copieusement l’embusqué. Le tir du F.M. a cessé, les tirailleurs montent à l’assaut et nous ramènent le fusil-mitrailleur hors d’usage ; les quatre résistants (le tireur, le chargeur et deux aides) ont été mis hors de combat par les obus de mortier. Étaient-ils postés à cet endroit pour protéger l’acheminement du ravitaillement pour la cuvette de Dien-Bien-Phu ? Je reçois les félicitations de mon commandant de compagnie avec la promesse d’une seconde étoile sur ma croix de guerre que j’attends encore ... C’est un lieutenant qui l’a reçue !

Nous sommes en avril 54, nous recevons l’ordre de quitter cette zone et c’est parti pour l’incertain ! Destination Vientiane, la capitale laotienne. Nous bénéficions de deux jours de repos à l’extérieur de la ville. C’est à bord de camions civils, un convoi folklorique, que nous continuons notre route vers le sud. Arrêt et mise en place du dispositif dans un camp laissé à l’abandon par la Légion, aux environs de Savannakhet où il y a encore des munitions dans des abris de fortune !

Le rythme des marches reprend à travers la forêt, un matin nous sommes embarqués sur des camions militaires, direction Muong-Phalang, sur la route coloniale n°9. Nous stoppons, en pleine forêt, à l’endroit où le groupement mobile n°50, ancien bataillon de Corée, est tombé récemment dans une embuscade. Nous découvrons les carcasses consumées d’une cinquantaine de véhicules militaires. Même l’ambulance a été incendiée ! Les viêt-minh se sont acharnés à tout détruire, ils ont fait des prisonniers, on ne sait combien … Ce fut, paraît-il, la fin de ce groupement mobile.

Le 7 mai, nous apprenons, par radio, que le camp retranché de Dien-Bien-Phu a cessé le combat, à notre grand regret aussi, nous épiloguons sur cette sinistre stratégie. Réunir de nombreuses unités dans une cuvette sachant qu’elle est dominée par des montagnes truffées de viêts qui ont accès avec la Chine de Mao, notre ennemi. Notre périple se poursuit pratiquement à pied en direction du Sud.

Nous arrêtons à Paksé. La compagnie s’installe à proximité d’un terrain d’aviation de circonstance, interdit aux DC3 civils qui survolent, pour nous ravitailler par dropping. Nous avons, en effet, besoin de munitions et de boîtes de rations. À noter que je suis, comme mes hommes, au régime musulman.

Une nuit nous traversons le Mékong sur des barques de la Marine Nationale pour fouiller le terrain à la découverte d’une base viêt-minh. Selon les renseignements, il y a, en effet, des indices de vie, mais sans aucun occupant. Les viêt-minh sont de l’autre côté de la frontière au Siam et nous rentrons à notre base fortement déçus.

Un soir, nous assistons à un grand feu d’artifice : les viêt-minh, toujours eux, viennent de faire sauter le dépôt des essences de l’armée, constitué de fûts de 200 litres. Ce dépôt est important car il ravitaille toutes les unités qui stationnent au Laos. Ces fûts sont acheminés par bateau sur le Mékong, depuis la Cochinchine, jusqu’aux chutes qui barrent le fleuve, d’où l’obligation de constituer un dépôt. Il ne reste pratiquement rien de ce dépôt, encore une victoire à leur actif !

Nous continuons en direction de Moulapamok, nous marquons un arrêt dans cette localité. En ce lieu, notre mission consiste à récupérer tout l’effectif d’un poste militaire commandé par un garde mobile et des soldats laotiens, situé en zone d’insécurité. Cela se fait sans un coup de feu, l’éventualité d’une embuscade n’était pas à exclure. Sur le chemin du retour, le Piper d’observation, chargé de nous renseigner, nous informe que le drapeau viêt-minh flotte sur le poste et que de nombreux soldats allaient et venaient dans l’enceinte du poste.

Début juin, nous faisons mouvement par voie routière, via Stung-Treng et Kratié, pour arriver à la base militaire de Saïgon en vue de rejoindre Hanoï où se trouve toujours la base arrière du bataillon. Débarquement au camp Pétruski dans l’attente d’un embarquement pour le Nord. Interdiction de sortir en ville décide le commandement car nous sommes en treillis. La rage s’empare de nous et nous faisons fi de l’interdiction. Le même soir, nous prenons la direction de Saïgon-Centre, nous constatons que cette ville ne souffre pas de la guerre, c’est la ville du plaisir, la ville des boîtes de nuit, il y a beaucoup d’uniformes en ville, ce sont ceux qui font "la guerre en chaussures basses". Dien-Bien-Phu ? Le GM50 ? Ils ne connaissent pas, Saïgon n’est pas dans la rizière. Pour nous, pas question d’entrer dans une boite de nuit en raison de notre tenue. Nous sommes minables dans nos treillis et puis nous n’avons pas d’argent, pas même pour se payer un repas en ville. Le lendemain, nous embarquons sur un rafiot avec un certain écœurement en direction d’Haiphong. Le train nous emmène à Hanoï, nous n’avons pas le temps de souffler, il faut rejoindre la zone opérationnelle d’Hoa Binh.

C’est à nouveau la reprise des marches sur les diguettes des rizières avec une certaine appréhension. En effet, la division viêt-minh 308, qui s’est distinguée à Dien-Bien-Phu, fait mouvement sur le delta et selon les derniers renseignements, serait basée dans les calcaires du côté de Moc Chau. Ces massifs de calcaire étant à portée des canons de l’artillerie du groupement (GACAOF), l’officier DLO ordonne des tirs sporadiques, ce qui n’a, apparemment, pas dissuadé la 308 de stopper son offensive.

Le 1er juillet 54, je quitte la compagnie à destination d’un centre d’instruction pour effectuer un stage de deux mois en vue d’obtenir le brevet de chef de section qui m’est délivré à l’issue de l’examen. En cours de stage, j’apprends une mauvaise nouvelle : le 14 juillet le groupement mobile s’est heurté aux combattants réguliers de la division 308, les bodoï, tous vêtus d’uniformes en toile de parachute récupérée dans la cuvette de DIen-Bien-Phu et superbement armés. Ma compagnie a été décimée, mon commandant de compagnie, le capitaine Noël est tué par une rafale d’arme automatique, quelques tirailleurs meurent au combat, d’autres sont faits prisonniers. Le bataillon a perdu également des cadres et des tirailleurs. Le bilan est lourd, la 12ème compagnie est privée de son chef, elle a été commandée au feu par un sergent chef.

Un camarade m’a relaté cette triste journée : ” Nous avions assisté à un bombardement effectué par vingt et un B26. Nous imaginions que les bodoï étaient anéantis, notre compagnie devait se placer en protection du flanc sud du groupement. Surprise ! Les bodoï ouvraient le feu de tous côtés, ils surgissaient tels des diables camouflés sortant de leurs trous individuels, ils étaient surexcités, gonflés par leur récente victoire. C’était démoralisant, nous étions fatigués et surtout nos obus de mortier se révélaient inefficaces, ils s’enfonçaient dans le sol sans exploser. Nos tirailleurs ont été remarquables par leur volonté d’en découdre avec les assaillants. Notre capitaine, blessé mortellement par une rafale d’arme automatique a avalé son alliance avant de décéder ”.

Le 24 juillet, le commandement nous annonce la fin des hostilités, le viêt-minh sort vainqueur de ce bourbier. Nous devons reconnaître que ces combattants ont des atouts majeurs :

Facteur climat, ils sont habitués à ce climat régi par la mousson, qui présente une multitude de nuances selon l’orientation du relief, l’altitude et la latitude. À cause de ce climat j’ai perdu six kilos.

Facteur population, cette population qui, sans cesse, est à l’écoute des libérateurs, elle ravitaille, elle renseigne, elle assume un travail de fourmi.

Facteur terrain : les combattants viêt-minh ont une souplesse de manoeuvre que nous ne possédons pas. Ils s’infiltrent dans les rizières comme dans les calcaires, ils sont légers, se faufilent entre nous comme des anguilles, une arme individuelle, quelques cartouches et une boule de riz, chez eux la nourriture n’est pas un paramètre vital.

En août, j’apprends que mon unité quitte le Nord Viêt-Nam à destination de Saïgon. Je suis considéré comme un militaire isolé. À l’issue de mon stage, fin août, je rejoins le bureau de garnison d’Haïphong en vue de mon embarquement en direction du Sud. Je suis surpris car dans cette ville, la population exulte à la vue des Bodoï qui se promènent dans les rues et dépensent leur argent dans les boutiques locales.

De ma chambre d’hôtel, j’attends mon embarquement. Sitôt la date connue, je rejoins le port encombré de rouleaux de fil de fer barbelé, de sacs en toile de jute, en provenance de l’intendance, contenant des effets militaires, (alors qu’en opération, il était difficile de percevoir des effets de treillis en remplacement d’effets usagés et ne parlons pas des chaussures de brousse, l’intendance ne voulait rien savoir), de ballots d’outils individuels.

Je ne passerai pas sous silence le fait que les matelots de la Marine Nationale vont larguer des armes en mer de Chine. Ce qui est stocké au Nord Viêt-Nam ne peut être acheminé dans le Sud, faute de moyens de transport.

L’autorité militaire, encore en place, me fait embarquer sur un petit cargo transportant des catholiques viêtnamiens qui fuient le Nord en raison de la présence des communistes, car le viêt-minh est bien un régime rouge, en corrélation avec Pékin et Moscou. En arrivant à Saïgon, j’apprends que ma compagnie appartient dorénavant au 2ème bataillon du 9 RTM.

C’est un nouveau commandant de compagnie qui prend en main la réorganisation de l’unité, devenue nécessaire après l’échec du 14 juillet. Elle cantonne dans un camp de toile à proximité de l’aéroport de Tan-Son-Ut ayant pour mission, la surveillance du périmètre de l’aéroport et de patrouilles dans la ville de Saïgon, des missions de temps de paix. À peine remis du voyage en mer, je dois rejoindre Nha-Trang pour exercer la fonction d’adjoint à l’adjudant-chef du service général au Centre de Regroupement des prisonniers de guerre musulmans et légionnaires. Ce Centre, créé pour les besoins immédiats de rapatriement est installé à proximité d’un terrain d’aviation de circonstance.

Chaque jour des DC3 font la navette entre le Nord et ce Centre pour nous apporter leur chargement de prisonniers libérés par le viêt-minh. À l’arrivée, ces hommes, dont certains sont dans un état de délabrement physique, subissent une série d’examens médicaux et de remise en forme par une nourriture appropriée avant d’être rapatriés en métropole. Nous rencontrons quelques problèmes d’indiscipline avec des tirailleurs algériens qui n’ont, apparemment, pas souffert de la captivité. Nous en concluons que les commissaires politiques les ont préparés à l’indépendance de leur pays. Ce sont eux que nous retrouverons dans les bandes de fellagha opérant dans les Aurès et ailleurs.

Au bout de trois semaines, le va et vient des DC3 étant terminé, le Centre est dissous. Néanmoins la direction me confie le soin d’acheminer des prisonniers viêt-minh à bord de GMC pilotés par des viêtnamiens, à Ban-Me-Thuot, ville située sur les plateaux de l’Annam. Ma mission étant terminée, je rejoins ma compagnie à Tan Son Ut. C’est encore une mission de libération de prisonniers viêt-minh qui m’est confiée, je dois acheminer quelques dizaines de prisonniers à bord de GMC, également pilotés par des viêtnamiens, mais cette fois dans une zone peu sûre, là où se trouve la secte des Hoa Hao. C’est à Vinh Long que je libère les prisonniers, heureux de retrouver leur famille.

Nous sommes en octobre 54. Pas de repos, je rejoins un dépôt de munitions à proximité de Gia Dinh. Cette fois, je pars avec ma section de tirailleurs, avec paquetages et armes individuelles. À l’arrivée, un officier me fixe la conduite à tenir durant mon séjour à durée limitée, car un élément viendra prendre notre place à une date non précisée. Ce dépôt est en cours d’aménagement, ma mission consiste à surveiller, avec mes tirailleurs, les huit cents coolies qui œuvrent sur ce grand chantier.

Il s’agit de confectionner des merlons destinés à séparer les différents types de munitions avec de la terre prélevée à proximité du dépôt et transportée en panier à l’aide d’un bambou posée sur l’épaule. Des hommes et des femmes sont affectés à cette tâche, tandis que d’autres sont employés à confectionner les merlons, dont les emplacements ont été matérialisés par des sous-officiers du service munitionnaire. La terre est déposée, elle est mise en œuvre à la main, les coolies ne disposant pas d’outils, les parois sont également lissées à la main. Un vrai travail d’artiste ! Chaque soir, des gardes mobiles viennent faire une ronde avec des chiens pour vérifier qu’aucun coolie ne reste sur le chantier.

Mon rôle est d’organiser des tours de garde, de jour comme de nuit. Les munitions : obus, bombes d’avion, caisses diverses, en provenance du Nord Viêt-Nam, commencent à arriver et sont placées dans les alvéoles selon un plan conçu par le service. Je suis logé dans une petite cagna, ce qui est appréciable, mon ordonnance a le temps de faire un peu de cuisine, grâce à des achats de poulet ou de canard dans le village voisin. Au placard les boîtes de ration !

Le courrier nous parvient par la navette, ce qui n’était pas le cas lorsque nous étions en opération au Laos, le courrier nous parvenait de façon sporadique. Et encore une mauvaise nouvelle émanant de mon épouse : le 1er novembre 1954, les armes ont parlé en Algérie, elles seront vite jugulées selon la presse française. À l’approche de Noël, j’apprends que nous allons revenir à la compagnie et je dois passer les consignes à mon successeur.

Le retour a lieu au camp juste pour fêter Noël sous des tentes américaines. Les tours de garde autour de l’aéroport et les patrouilles en ville font notre quotidien. Notre spectacle quotidien est de voir les atterrissages et les envols des avions qui assurent des navettes avec le Nord. Nous avons aussi plaisir à regarder les avions à hélice Armagnac, en provenance de France, livrer leur contingent de militaires toutes armes pour assurer les relèves.

Un jour, c’est un Globemaster, le plus gros des avions de transport américains, en provenance de Manille qui arrive avec un chargement de conseillers militaires américains chargés d’instruire de nouvelles unités viêtnamiennes.

Les patrouilles nous permettent de découvrir la ville de Saïgon, la ville de la prostitution, de la mafia corse, de la mafia chinoise, les rues sordides situées derrière le marché couvert où se terre la pègre. Les gamins n’hésitent pas à nous interpeller ” Sep, sep, c’est cassé kidik ? ” ce qui veut dire qu’ils se prostituent pour quelques piastres. De même, les rabatteurs nous proposent des jeunes filles disponibles dans des familles. Et qui plus est, le gouvernement du Sud Viêt-Nam a fait construire un grand bâtiment : ”le palais des glaces ”. C’est une concentration de prostituées, contrôlées par le gouvernement et plus particulièrement par Ngô Dinh Diêm, le Premier ministre viêtnamien de l’époque. Ce palais est une source de revenus ; combien de militaires laissent leur solde en ce lieu ? Les patrouilles ont mission de surveiller ce lunapark. Et il y a Cho Lon, la ville voisine de Saïgon, la ville des jeux, de la prostitution. C’est, je le crois, une institution bien ancrée dans ces deux villes. Les enfants, filles et garçons font vivrent leurs familles avec les piastres récoltées au hasard des rencontres avec des militaires. En patrouille, on surveille également les abords du jardin botanique situé en peine ville de Saïgon.

Mars 1955, c’est la fin du séjour pour notre bataillon, le commandement organise une prise d’armes, tout le bataillon est présenté aux généraux en garnison à Saïgon et nous avons droit aux salutations du sinistre Ngô Dinh Diêm, sur lequel nous avons envie de cracher, tellement nous le maudissons. En toute hâte, nous préparons le départ, les contrôles et les vérifications étant terminées, nous embarquons, en unité constituée, sur le Skaugum, un bateau d’origine norvégienne ayant à bord un commandant d’armes permanent, chargé de la discipline, une place royale !. Inutile de souligner que nous sommes ravis de quitter ce pays. Pour ma part, j’y laisse de l’amertume et six kilogrammes de moi-même, soixante douze à l’arrivée et soixante six au départ d’après les contrôles médicaux !! Destination inconnue … Des bruits de coursive font état d’un débarquement à Alger pour participer aux opérations. Après vingt jours de mer, nous arrivons au port d’Oran, débarquement, direction un casernement situé en ville pour y passer deux jours, dans l’attente du regroupement du bataillon. Chose faite, nous prenons place dans des wagons de la ligne Alger-Rabat en direction du Maroc. Les supputations vont bon train, est-ce Rabat ou est-ce Meknès notre point de chute ?

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RETOUR D’INDOCHINE

2ème BATAILLON DU 9ÈME RÉGIMENT DE TIRAILLEURS MAROCAINS

C’est la garnison de Taza qui nous accueille. Taza, une ville accolée à l’Atlas, une ville froide comme sont les sommets environnants. La compagnie s’installe dans une caserne toute neuve mais sans chauffage. Alors commence la vie de garnison : revues de détail, gardes, patrouilles en ville, finalement pour très peu de temps. La population locale est indifférente à notre présence, il n’y a pas d’approche, nous ressentons leur rancune, nous devons quitter ce pays !

Lors d’un rassemblement, un commandant nous annonce notre prochain départ pour la France afin de bénéficier d’un congé de fin de campagne d’un mois et surtout remplir une fiche d’affectation individuelle au bénéfice du 9ème RTM qui se reforme à Taza même. Étant donné l’accueil des autorités militaires locales et des rumeurs d’indépendance du Maroc, nous préférons aller servir sous d’autres cieux.

La permission en poche, c’est le départ pour le port d’Oran, embarquement à bord du paquebot Ville d’Oran à destination de Marseille, je rejoins mon épouse dans les Vosges afin de bénéficier du mois de congé de fin de campagne que m’accorde l’armée.

En cours de congé, je reçois ma nouvelle affectation : 1er bataillon de chasseurs portés à Reims, avec ses traditions, son refrain et le langage particulier des chasseurs où le jaune est proscrit.

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MARBOURG (R.F.A.)

1er BATAILLON DE CHASSEURS PORTÉS

À l’issue de mon congé, je me présente, quartier de Maud’hui à Reims, au responsable du détachement de cette unité. Le bataillon est détaché à Marburg/Lahn, en Allemagne (il remplace le 5ème RTM affecté en Algérie). C’est avec ma voiture que je rejoins Marburg. Je suis affecté dans une section portée, commandée par un aspirant appelé. Voilà la lacune que rencontrent tous les sous-officiers de retour d’Indochine, où ils ont commandé des sections au feu et se retrouvent adjoints à des aspirants qui ne connaissent absolument rien au métier des armes, ils manquent souvent d’aptitude à gérer le comportement des hommes.

Un jour, le capitaine, commandant la compagnie de commandement et des services me fait muter dans sa compagnie pour servir en qualité d’adjoint. J’échappe ainsi à la promiscuité aspirant sous-officier confirmé. Je suis informé de la situation paradoxale de l’unité : les cadres n’ont pas droit à loger à la cité militaire, car tous les logements sont occupés par les familles du 5ème RTM. Les épouses désireuses de rejoindre, se débrouilleront pour se loger dans le secteur privé, ce que je fais. Nous logeons dans un petit appartement meublé dans les dépendances d’une ferme, un véritable quadrilatère situé à quatre kilomètres de la caserne, un loyer mensuel à payer en marks. Le propriétaire, ancien combattant de l’armée allemande, est très aimable et lors du sacrifice du cochon, il nous a offert une énorme saucisse de viande hachée. Nous n’avons pas droit aux marks sur la solde, nous les achetons à la banque locale. Qui plus est, pour résider en Allemagne, les épouses doivent se présenter tous les trois mois au commissariat de police pour faire viser l’autorisation de séjour. C’est tout juste si les familles peuvent accéder à l’économat. Le commandant d’armes a cependant accepté cette possibilité après intervention de nos supérieurs. Et c’est la vie de garnison avec l’entretien des half-track White usés jusqu’à la corde … du matériel récupéré après le conflit 1943/1945. Chaque jour, nous devons les tracter pour les faire démarrer. Je participe à l’instruction des jeunes appelés, j’organise des cours de topographie, des cours de mines et explosifs, des sorties de détente aux environs de Marburg et en direction de Fritzlar.

Le 23 janvier 1956, notre fille naît à l’hôpital militaire de Giessen avec enregistrement conseillé sur le registre d’état-civil de la ville et au consulat Français de Baden Baden. En début février, nous participons à une manœuvre de nuit, la température avoisine moins trente degrés, aucun véhicule ne veut démarrer. Finalement la manœuvre est annulée, mais nous avons souffert du froid durant quelques heures en pleine nuit. Fin mars, la relève est annoncée, nous quittons Marburg par voie ferrée avec tout le matériel pour rejoindre Reims.

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REIMS

1er BATAILLON DE CHASSEURS PORTÉS

À l’arrivée au casernement, il n’y a pas d’eau pour faire la toilette, toutes les canalisations sont gelées en raison du grand froid qui a également sévi sur la région. Les familles, de retour d’Allemagne, s’installent à Reims ou dans les environs. La vie de garnison s’organise peu à peu avec les charges imposées par le bureau de la Place. La liste des sous-officiers appelés à servir en Algérie est affichée, prière de la consulter. Les départs, pour des unités opérationnelles, ont lieu tous les quinze jours. Je ne suis pas encore sur cette liste en raison de la date récente de mon retour du Viêt-Nam. Fin septembre 56, je suis convoqué chez le chef de bataillon. Il m’ordonne de prendre la gestion du foyer du chasseur pour une période de six mois, un foyer qui est à organiser en raison d’un déficit constaté au dernier bilan. C’est un point de passage obligé qu’on ne peut refuser. Je m’attache à exercer cette fonction en sollicitant l’aide de l’intendant militaire chargé du contrôle des foyers des corps de troupe, surtout pour apprendre la tenue d’un cahier de caisse, à cet effet, l’intendant a été particulièrement bienveillant pour assurer ma formation de trésorier. (À noter que dans l’armée, on apprend beaucoup de choses).Le personnel affecté au foyer est de bonne facture. Il y a Claude Figus, secrétaire particulier d’Edith Piaf et le fils d’un grand négociant de champagne de Reims, Lanson. En raison de leur emploi, mes chasseurs ne participent pas au tour de garde.

Le 15 décembre 1956, je suis nommé au grade d’adjudant et de ce fait, inscrit sur la liste des départs en opération en Algérie, départ à la diligence de la Direction des personnels militaires de l’Armée de Terre à Paris.

Le 27 février 1957, ma famille s’agrandit d’un garçon.

Mon activité au foyer est très positive. Au départ je m’étais fixé deux objectifs : d’une part, développer la partie bazar en proposant aux chasseurs une gamme de produits autres que les banalités : lames de rasoir et papier à lettres, d’autre part vendre des bouteilles de champagne aux chasseurs partant en permission.

Le chiffre d’affaires s’est considérablement amélioré à la grande satisfaction du chef de corps.

Au 1er mars 57, je reçois ma nouvelle affectation : 17ème bataillon de chasseurs à pied en garnison à Arris (Aurès, Algérie), sans famille. Je dois le rejoindre immédiatement. Après avoir passé mes consignes de gestion du foyer, je quitte le 1er BCP, à destination de Marseille pour embarquer sur le paquebot Ville d’Alger, ce paquebot que je retrouve 10 ans après.

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ALGÉRIE

17ème BATAILLON DE CHASSEURS À PIED

Je débarque à Alger, Alger la blanche, ville qui ne m’est pas inconnue, la ville aux milles facettes avec sa rue d’Isly, son monument aux morts, sa grande poste à la façade orientale, sa place du gouvernement, ses brasseries dont les tables sont occupées par les algérois, génération pied-noir… Je n’ai pas l’impression que ce pays est en conflit ! Mais ce n’est pas mon point de chute, adieu Alger !

Je rejoins Batna par voie ferrée via Constantine. La base arrière du 17ème BCP est cantonnée dans une ferme dont les propriétaires sont d’origine italienne, un des fils, chauffeur routier de son état, vient d’être égorgé par les fellaghas. C’est ma première vision de ce qui s’appelle "maintien de l’ordre" en Algérie. Je profite de la navette pour me rendre à Arris, ville distante d’une cinquantaine de kilomètres, avec d’autres sous officiers, désignés pour servir dans les Aurès, le pays des chaouia, ce sont des berbères aurésiens très attachés à leur terre et pratiquant un dialecte. Le convoi est fortement protégé par des automitrailleuses, notre arrivée au camp Cardinal à Arris est saluée par les chasseurs avides de nouvelles de France.

Je fais connaissance du 17ème BCP, un bataillon articulé en quatre compagnies, implantées aux alentours d’Arris et une compagnie de commandement logée sur place. Le chef de bataillon m’annonce ma nouvelle destination : 2ème compagnie basée à El Hadjedj, à peu de distance d’Arris. Je rejoins cette compagnie installée dans un ancien village composé de mechta et d’une mosquée, situé sur un glacis, dominé par une ligne de crête, comme le sont la plupart des postes en Algérie, ce qui permet aux fellaghas de nous harceler dès la tombée de la nuit.

La plus imposante mechta du lieu appartient à Mustapha Ben Boulaïd, transporteur local, assurant la ligne de car entre Arris et Batna qui est entré en dissidence à la suite de la suppression de sa licence par l’administration. Une grave erreur commise par un commis d’État ne connaissant rien aux habitudes locales, à savoir que la France n’était pas généreusement représentée dans cette région montagneuse. Selon des informations, il a participé à l’assassinat d’un instituteur dans les gorges d’El Kantara sur la RN3, le 1er novembre 1954. Ben Boulaid aurait été interné, nous n’en savons pas plus.

La compagnie est commandée par un lieutenant et je suis son adjoint. J’ai en charge le service général du poste, la préparation des opérations, le ravitaillement quotidien en eau et surtout la gestion d’un mortier de 120m/m, seule arme lourde du poste. L’eau de consommation et de toilette est puisée dans l’oued situé en fond de gorge, ce qui nécessite une mise en œuvre de personnel armé sous ma responsabilité. Il faut, en effet, assurer la protection des hommes de corvée, du véhicule et sa citerne afin de palier les tirs éventuels des fellaghas, car ils sont renseignés sur nos activités et nos déplacements.

J’ai à peine deux mois de présence à la 2ème compagnie, que le chef de corps me mute à la 3ème compagnie qui tient poste à Djermane Médina, au pied du djebel Chélia à mon grand désespoir. La raison de cette mutation ? Et bien : le capitaine commandant cette compagnie et son adjoint, un adjudant-chef sont deux passionnés de poker, ce que le commandement devait ignorer, il en a résulté des négligences dans le commandement de la compagnie et l’organisation des opérations. Ce capitaine et son adjoint ont été aussitôt rapatriés sur décision de l’autorité militaire. Ce qui leur a été également reproché, c’est le fait qu’une section commandée par un aspirant, chargée d’assurer une ouverture de route pour permettre le passage de véhicules s’est heurtée à un barrage érigé par les fellaghas. Le chef de section et cinq chasseurs ont été mis hors de combat par les balles de l’adversaire. C’était une ouverture de route de routine alors qu’il aurait fallu en modifier le parcours. Les chasseurs rescapés de cette embuscade ont été traumatisés … on n’a pas dépêché de psychologues (sic) pour les revigorer …

Dans ce poste, j’exerce les fonctions d’adjoint au nouveau commandant de compagnie, un lieutenant, et celles de chef de la section de commandement. Le poste est un ensemble de bâtiments en dur, formant un quadrilatère, construit par la Légion sur un promontoire, naturellement dominé par une ligne de crête. Un mirador a été aménagé à chaque angle, ce qui nécessite une charge importante pour les gardes. La compagnie, soit une centaine d’hommes, comprend quatre sections de combat dont trois, commandées par des aspirants. Une partie de l’effectif des chasseurs, qui sont tous des appelés, est originaire de la région bordelaise, le reste provient du recrutement algérois, c’est-à-dire des Français de souche nord africaine dont nous avons à nous méfier. Ils sont susceptibles de nous trahir, c’est arrivé à Pasteur !!

Le poste comprend les éléments de vie : cuisine avec réfectoire, magasin d’armes et de munitions, foyer du chasseur, bureau administratif, popote des cadres avec sa propre cuisine et un infirmier. La différence que je ressens par rapport au conflit précédent est le fait qu’en Indochine, nous étions très mobiles, alors qu’ici, nous sommes statiques. Le poste est doté d’un char Shermann immobilisé, laissé par la Légion, dont le canon de 76/2 est utilisable, doté d’un lot important de munitions et d’un mortier de 120m/m géré par un aspirant. À l’écart du poste, un bâtiment de construction récente abrite la section spéciale administrative (SAS), commandée par un lieutenant disposant d’un secrétariat et d’un médecin aspirant. Cet officier SAS est un véritable chef d’entreprise. A cet effet, il dispose d’un contingent d’ouvriers locaux occupés à construire des bâtisses pour loger des familles regroupées, issues des zones interdites. Il a fait aménager une baraque Fillod destinée à l’école du regroupement. Les cours primaires sont dispensés par un appelé FSNA de notre compagnie.

La vie dans ce village s’écoule paisiblement, le président de la délégation spéciale Mohamed, frère du chef de la harka, avec lequel j’entretiens de très bonnes relations, tente d’attirer les quelques vieillards du lieu au café maure. À environ un kilomètre, une harka, commandée par le sergent-chef Ahmed, disposant d’une vingtaine de harkis, est installée dans une ancienne ferme aux ordres de notre lieutenant, commandant d’armes, pour la partie opérationnelle et par l’officier SAS, pour la partie administrative. Chaque mois, un hélicoptère apporte les fonds nécessaires au paiement des ouvriers et des harkis. Ainsi va la vie de cette petite garnison.

Le ravitaillement de la compagnie est assuré par l’intendance militaire de Batna où il faut s’y rendre par liaison routière, ce qui nécessite une mise en place d’éléments de protection avec de multiples changements sur l’itinéraire. Les patrouilles de nuit sont au programme, elles sont la hantise des chasseurs, car il faut se déplacer sans bruit sur des sentiers où toute rencontre avec les moudjahiddines n’est pas exclue. J’organise et participe à ces reconnaissances nocturnes avec six chasseurs et c’est au retour de l’une d’elles que le chasseur Berthet est blessé à une jambe par une sentinelle ayant pris peur à l’annonce du mot de passe. Ce mot était obligatoire pour entrer dans le poste de nuit. Un garçon que nous avons fait évacuer le lendemain matin en raison de la gravité de ses blessures. Le commandement m’a demandé de rédiger un compte-rendu de circonstance pour la suite de l’enquête.

Les sites remarquables constituant notre environnement sont le massif du Chélia, truffé d’observatoires aménagés par les moudjahidines, l’ancienne mine d’Ichmoul, qui recèle quelques galeries servant de caches, la chaîne du Zélatou, comportant d’importantes anfractuosités, la forêt impénétrable de Bou Hamama, abritant des réserves d’armes et de munitions pour les moudjahidines, selon les renseignements. Il y a aussi le village d’Inourissen, situé à la limite de la zone interdite dont tous les hommes sont au maquis, un village plus que suspect.

Nous sommes à la disposition de l’état-major d’Arris, appelé secteur. C’est le colonel, commandant cet endroit qui décide des opérations inter unités à mener dans le secteur, en fonction des renseignements obtenus par le 2ème bureau. Ces opérations, utiles ou inutiles, se déroulent périodiquement dans l’oued Abdi, l’oued el Abiod, la région de Mchounèche, sur les pentes du Chélia, sur les lignes de crête de la chaîne du Zélatou, des endroits vus et revus sans beaucoup de succès. Il faut avouer que les moudjahiddines sont informés sur nos mouvements.

C’est au cours d’une opération, qu’un de nos sous-officiers, en légitime défense, a abattu un civil qui n’était autre qu’un commandant des moudjahiddines. Il avait revêtu une djellabah par-dessus sa tenue d’officier de l’ALN, il venait de rejoindre son unité et le comble, il avait profité de notre convoi de ravitaillement pour rejoindre son affectation, à l’insu du chef de convoi ! Nous avions des faiblesses, on transportait des civils sans en contrôler l’identité et quand bien même que nous l’aurions fait, nous aurions été trompés, ils étaient futés. Nous n’avions pas le droit de fouiller les femmes rencontrées au cours d’opérations, alors qu’elles étaient complices des fellaghas. Notre poste est constamment harcelé, nous ne répondons pas par les armes automatiques, ce serait des tirs inutiles, les moudjahiddines ont des emplacements bien définis que nous avons repérés lors de reconnaissances. Aussi, lors de harcèlements, j’ai ordre de tirer deux ou trois obus à partir du char.

Dès mon arrivée à la compagnie, je me suis familiarisé avec cette pièce d’artillerie, à la demande de mon commandant de compagnie. Non seulement, je devais repérer la ligne de crête nous dominant, mais aussi des sites environnants que les moudjahidines sont susceptibles de fréquenter la nuit comme le col de Tisougarine, entre le Chélia et le Zélatou, la pente sud du Chélia à portée de canon, l’entrée du village d’Inourissen, par exemple. Pour standardiser mes tirs, j’ai réalisé un tableau d’abaques dont l’utilité s’est révélée géniale lors d’interventions nocturnes, tout en procédant au réglage des fusées d’obus afin de les faire éclater à quatre mètres du sol pour provoquer une dispersion des éclats.

C’est ce qui est arrivé à l’entrée d’Inourissen, j’avais ordre de tirer deux obus à trois heures du matin. À sept heures, un gamin se présente au poste pour nous signaler que sa mère avait été blessée par un éclat d’obus, visible à hauteur des reins. Aussitôt, un hélicoptère est demandé et deux sections, une en protection, l’autre en action sanitaire avec le médecin de la SAS, se rendent sur place pour récupérer la personne blessée. L’hélicoptère se pose à l’entrée du village, elle est évacuée sur l’hôpital de Batna, finalement, tout s’est bien passé.

Quelques jours après un hélicoptère se pose à proximité du poste, ce sont deux gendarmes qui viennent procéder à une enquête afin de déterminer les causes de cette blessure contractée loin de sa mechta. Que faisait-elle dans la nature à trois heures du matin ? Les gendarmes nous ont appris que cette femme avait trois fils fellaghas, ils sont repartis à leur base avec les renseignements nécessaires à l’enquête. En conclusion, les gendarmes ont bénéficié d’un hélicoptère pour venir de Batna faire une enquête tout à fait banale, voilà une anomalie flagrante d’erreur du commandement.

Je n’aurai pas la langue de bois pour ce qui s’est passé dans notre poste en 1957. Un mercredi matin, un caporal manque au rassemblement, ses camarades de chambre me signalent que ce petit gradé a été perturbé toute la nuit. Je lui rends visite, il a le visage convulsé par la souffrance. J’alerte mon lieutenant qui sollicite le médecin aspirant de la SAS. Ce dernier est hésitant pour établir un diagnostic, l’hospitalisation est souhaitable. La demande d’un hélicoptère, par radio, est acceptée dans la mesure où l’appareil sera disponible. Selon le commandement du secteur, pas question d’organiser un convoi pour l’évacuer par la route. Ce garçon souffre terriblement, nous le veillons jour et nuit. Enfin le dimanche matin, l’hélicoptère est annoncé, quel soulagement pour tous. Hélas, à l’arrivée à Batna, ce garçon a décédé en cours de transport. On ne connaîtra jamais la cause de ce décès. Quel paradoxe ! Batna disposait d’un hélicoptère pour évacuer la femme musulmane blessée d’un éclat d’obus, ce fut rapide mais évacuer un militaire malade, ça pouvait attendre. Le colonel, commandant le secteur d’Arris disposait, cependant, d’un hélicoptère pour assurer des évacuations, mais il était surtout utilisé pour aller à Batna chercher la presse et des pains de glace … Qui a renseigné ? Le pilote lui-même.

En juillet 1959, nous participons à une opération dont le but est d’explorer le massif du Chélia, couvert de majestueux cèdres. Des renforts de fantassins sont amenés par camions et par hélicoptères jusqu’au pied de cette montagne dont le sommet culmine à 2328 mètres. Aussitôt des tentes sont installées pour permettre au colonel et son état-major de diriger l’opération comprenant plusieurs unités de parachutistes, de cavaliers et de fantassins. Nous crapahutons côte à côte. Nous avons découvert un camp de vie, bien organisé, mais abandonné. Quelques postes de combat aménagés sur les pentes de cette montagne ont été détruits. En somme, il y a eu beaucoup d’agitation pour un maigre butin. Le plus grave est le résultat humain : en décrochant, une section a mis le feu dans les hautes herbes sèches du versant est, ne sachant pas qu’une section était encore en amont de leur position. Les hélicoptères, venus de Télergma, pour participer à l’opération, sont repartis à leur base avec, selon les informations, une quarantaine de fantassins morts par asphyxie consécutive aux fumées. Ces fumées que nous regardions, avec une certaine satisfaction depuis notre base de départ sans savoir qu’un drame se jouait sur ce versant. Ces morts ont certainement été comptabilisés dans la catégorie des morts au combat.

Je citerai aussi trois graves accidents de notre secteur. Tout d’abord, un hélicoptère, en repérage le long d’une falaise s’est crashé et s’est consumé au sol, les six occupants ont été rayés des contrôles avec parmi eux, un officier supérieur originaire de Saint-Dié qui participait au déplacement. Ensuite un camion GMC, qui se rendait à Constantine ayant à son bord des chasseurs libérables par anticipation en raison de leur charge de famille, a basculé dans un ravin, provoquant la mort de six d’entre eux, ces vaillants appelés avaient fait tout leur séjour sans une égratignure. Et peu de temps avant que la compagnie ne s’installe à Djermane, six légionnaires venaient de quitter ce poste à bord d’un half-track, lorsqu’une mine télécommandée, placée sur la route de Aïn Taga a détruit hommes et véhicule. Certes, des morts inutiles et il faut signaler qu’à cette époque, il n’y avait pas de caméras pour filmer ces drames, c’était le top secret !! aujourd‘hui, dès qu’il y a un chien écrasé sur la route, une nuée de photographes et caméramen se ruent sur les lieux de l’accident.

Et des morts, il y en a des deux côtés. Un matin, nous partions en opération toujours par le même mode de transport, des camions d’un groupe de transport. Le convoi stoppe, le chef de convoi vient de découvrir, depuis la tourelle de son auto mitrailleuse, des cadavres revêtus de djellabah, gisant sur le bord de la route, exposés au soleil. Nous les dénombrons, il y en a vingt-trois, ce sont des hommes âgés, nous remarquons que des douilles de 9m/m jonchent le sol. La gendarmerie de Batna est prévenue par radio, elle est chargée d’ouvrir une enquête, nous ne sommes pas en guerre mais en maintien de l’ordre. Que s’est-il passé ? Nous ne le saurons jamais.

Les relèves se succèdent, les séjours de nos chasseurs arrivent à leur terme, pas de cérémonie lors de leur départ, un simple adieu et bonne chance dans le civil. D’autres arrivent, ils sont aussitôt confrontés aux activités quotidiennes, pour les cadres, tout est à recommencer.

En mai 1958, nous sommes dans l’ère de la pacification, c’est tout d’abord un émissaire du général Challe qui vient faire un sondage sur le moral de la compagnie et des habitants de Djermane. Ensuite recevons ordre de regrouper ces habitants à proximité du poste afin qu’ils écoutent la bonne parole dispensée par des officiers supérieurs venus d’Alger. Ces chaouia comprenaient-ils le sens de l’appel qu’on leur faisait sur le thème de l’Algérie française ? Était-il assorti d’avantages ? J’en doute, leur vie était réglée pour produire quelques céréales et élever un maigre bétail... Avions-nous l’espoir de voir naître une Algérie française ? En 1958 oui, en 1959, non, en raison des pourparlers engagés entre le F.L.N. et la délégation française.

En juin 1959, je décide de me présenter au concours pour accéder au corps des sous-officiers du service des travaux du génie, en vue de me spécialiser dans la branche bâtiment, car ce n’est pas en servant dans les corps de troupe que l’on acquiert une spécialité du secteur privé. En août, je suis convoqué à la caserne d’Orléans à Alger pour subir les épreuves du concours, épreuves réussies.

L’adjudant Pierre Broggini rejoindra l’École Supérieure Technique du Génie, Rue de l’Indépendance Américaine à Versailles, le 1er octobre 1959. Tel est le message radio que je reçois à la compagnie. Je suis satisfait de la réussite à ce concours, je ne regretterai pas de quitter ce bourbier algérien où les bandes de moudjahidines, en provenance de la Tunisie sont de mieux en mieux instruites et armées. Le massif des Aurès est un point de passage obligé pour ces rebelles du F.LN, (Front de Libération Nationale). Mais les opérations continuent !

Dont une que je n’ai pas oubliée, c’est une rencontre avec des bandes dissidentes, qui crapahutent sous la bannière du MNA, (Mouvement National Algérien) en se réclamant de Messali Hadj. Cet érudit algérien a créé en 1937 le parti populaire algérien mais lorsque le comité révolutionnaire pour l’unité et l’action a déclenché les hostilités le 1er novembre 1954, Messali s’est trouvé en marge du mouvement algérien de libération nationale. Néanmoins, il avait ses partisans qui ont été liquidés par l’armée algérienne de libération nationale.

Un soir également, nous avons assisté à une rencontre sanglante entre une bande FLN et une MNA, à vue d’oeil de notre poste. C’était fantasmagorique à regarder les balles traceuses de part et d’autre, et pas question de faire intervenir l’aviation. Le lendemain matin, nous avons effectué une reconnaissance sur place, des étuis de balles jonchent le sol et d’abondantes traces de sang ont laissé supposer qu’il y avait eu des morts et des blessés. Quelques jours après, nous apprenons que la 4ème compagnie de notre bataillon a tendu une embuscade à une section de jeunes algériens en partance en Tunisie pour subir un entraînement, bien encadrée par des fellaghas. La bande a été anéantie, ce fut une victoire pour les chasseurs qui ont joué sur l’effet de surprise.

Depuis le rassemblement de 1958, la "pacification" suit son cours, une unité du génie est venue pour construire une piste forestière aux environs de Djermane dont l’usage peut prêter à confusion ? À quoi va-t-elle servir ? À rien bien entendu. C’est une décision du commandement, il n’y a pas lieu d’épiloguer.

Enfin, en 1959, nous participons à une opération de ratissage, héliportée, sur la chaîne du Zélatou. En soirée le bouclage est terminé, les fellaghas sont pris au piège, telle est l’information émanant du poste de commandement. La nuit ne nous permettant pas d’agir, le bouclage reprend à l’aube, le terrain est vierge de tout adversaire, ils ont profité de la nuit pour s’enfuir, tout le monde est stupéfait ! C’est un coup d’épée dans l’eau.

En résumé, si des unités peuvent s’enorgueillir d’afficher des bons scores en matière de mise hors de combat de l’adversaire, ce n’est pas le cas de ma compagnie, hormis l’arrestation de quelques suspects, interrogés avec ménagement et remis au deuxième bureau. Ce qui me surprend aujourd’hui, ce sont les déclarations que font les ex-appelés aux journalistes, dans certaines émissions de télévision. Ils auraient participé quotidiennement à des séances de torture voire à des pelotons d’exécution.

Mon séjour se termine, je dois me rendre à Aïn Taga au PC du bataillon, nouvellement installé, pour y accomplir des formalités administratives. Je me souviens des paroles élogieuses qui m’ont été adressées par mon chef de corps pour les actions que j’avais menées à la compagnie en ma qualité d’adjoint. J’étais payé pour ce travail (sic). "Et pourquoi avez-vous décidé de quitter le corps des chasseurs pour entrer au service du génie ?", me demande-t-il. Je n’ai pas mémoire de ma réponse. Si je reviens en Algérie, ce sera dans le service des travaux et non plus dans un bataillon de chasseurs à pied (sic).

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ÉCOLE SUPÉRIEURE TECHNIQUE DU GÉNIE VERSAILLES

1er octobre 1959 : je suis admis à l’E.S.T.G. à Versailles. Quel changement avec la vie au poste de Djermane !

J’avoue, au départ, avoir regretté mon choix car je n’étais pas préparé à un rythme scolaire. Les cours sont dispensés dans deux amphithéâtres selon les matières, chaque jour de huit à douze heures et de quatorze à dix huit heures, sauf le samedi, la matinée étant réservée à la composition hebdomadaire, quatre heures à sécher sur les feuilles que nous distribuent les répétiteurs. Sans oublier les cours de mathématiques le matin de 7 à 8 heures, deux fois par semaine. À noter que les professeurs sont très compétents et compréhensifs, nous sommes tous des chefs de famille.

C’est un régime de potache qui se termine le 31 mars 1960 par l’obtention d’un diplôme de surveillant de travaux suivi d’un amphi garnison où chaque élève, selon son classement, choisi une direction de travaux.

Les premiers privilégient l’Allemagne, ensuite le Sud de la France. Classé trente sixième sur cent vingt, j’opte pour la direction des travaux de Strasbourg, les meilleures directions ayant déjà été dotées.

À les entendre, les élèves évitent l’Est de la France et Paris, mais en fin de tableau, les moins bons n’ont plus le choix, ils sont affectés aux directions en attente de surveillants.

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ARRONDISSEMENT DES TRAVAUX DU GÉNIE DE MULHOUSE

ET SECTEUR DE COLMAR

Après avoir été reçu par le colonel Directeur des Travaux de Strasbourg, je rejoins ma nouvelle affectation à l’arrondissement des travaux du génie de Mulhouse où règne une ambiance mi-figue, mi-raisin, des personnels civils, des piliers bien ancrés, nantis de prérogatives consécutives à leur longue carrière effectuée dans le même bâtiment. Le bureau de la Place m’attribue un logement militaire, ce qui permet à ma famille de s’y installer.

Et je débute mes nouvelles fonctions sur un chantier important, ordre de grandeur : quatre millions de francs, à Habsheim. Il s’agit de réaliser une base destinée à recevoir une unité de l’aviation légère de l’Armée de terre, ALAT. Le terrain est vierge de toute construction. Un capitaine est chef de chantier, je suis son adjoint, chargé d’effectuer les attachements de tréfonds, la surveillance des travaux de construction des différents bâtiments : administratifs, sécurité, logement des hommes du rang, la surveillance du montage de hangars Sarrade et Galtier, en provenance d’Algérie en éléments détachés soit plus de trois cents tonnes de poutrelles, portes monumentales, tôles de toiture, etc. C’est sur ce chantier que j’ai appris à rédiger les ordres de service provisoires sur manifold.

C’est un plein emploi, qui ne me laisse que peu de temps pour préparer le concours d’entrée à l’école d’administration de Montpellier, c’est d’ailleurs cette école qui m’adresse chaque quinzaine les différents cours. Entre temps, j’ai accédé au grade d’adjudant-chef.

Le relevé des attachements est un travail important car c’est la physionomie de tous les réseaux enterrés : eau potable, eaux usées, téléphone, électricité, que l’on situe par rapport à des points de repère, je me suis rendu compte que ce travail est souvent négligé dans le secteur privé. Je noircis des feuilles entières que je transmets au bureau d’études à un dessinateur ô combien pinailleur, c’est le métier qui entre en tête.

Après deux années de chantier, je suis à nouveau admis à l’E.S.T.G. de Versailles pour suivre les cours de conducteur de travaux. Nous ne sommes pas nombreux, ce qui nous permet de travailler dans de bonnes conditions, les professeurs sont très attentifs à nos travaux et c’est au bout de six mois que nous quittons l’école avec notre diplôme. Mon séjour mulhousien se termine le 30 septembre 1964.

En ma qualité de conducteur de travaux, je suis affecté au secteur de Colmar comme adjoint au capitaine chef de secteur. Je prends en charge tous les travaux d’entreprise des casernes Walter et Bruat à Colmar avec un surveillant à ma disposition et du quartier Abatucci de Neuf-Brisach. Ce quartier est en cours de rénovation, notamment avec la construction d’une station d’épuration des eaux usées et l’enfouissement du réseau de distribution de l’électricité, ce qui oblige à un gros travail d’attachements. Le séjour colmarien se termine le 30 avril 1966 car ma nomination au grade de sous-lieutenant vient de paraître au journal officiel. Je suis affecté à la direction des travaux du génie de Strasbourg.

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ARRONDISSEMENT DES TRAVAUX DU GÉNIE D’ÉPINAL

Je me réjouissais de cette affectation, ainsi, mon parcours alsacien allait se poursuivre après un séjour à Mulhouse et un séjour à Colmar. Strasbourg, une grande ville, une ville estudiantine, lorsque le contre-ordre me parvient. Stupéfaction ! Je suis affecté à la Direction des Travaux du Génie de Nancy pour servir à Épinal. Il y a une raison à ce changement d’affectation : le chef d’arrondissement a fait effectuer des travaux dispendieux dans une caserne sans en avoir l’autorisation qu’il n’aurait jamais eue étant donné la nature des travaux et la couverture financière. Il ne termine pas son séjour à Epinal, il est muté à La Rochelle.

Après avoir été reçu par mon nouveau directeur à Nancy, lequel m’a lesté de consignes, j’arrive à Épinal le 1er mars 1966 pour y exercer la fonction de chef de secteur et d’adjoint au nouveau chef d’arrondissement. Ma mission consiste à gérer les crédits TERRE attribués à l’arrondissement, à l’exception des crédits AIR, à l’initiative d’un collègue, officier, ayant son bureau sur la base de Contrexéville. Ces crédits TERRE sont de deux natures, il y a les crédits du titre III, assortis de sous-titres, consommables, non reportables, destinés aux travaux d’entretien des bâtiments, et les crédits du titre V, crédits reportables destinés aux constructions neuves, dont les chantiers peuvent durer plusieurs années. Chaque chantier fait l’objet d’une fiche comptable dont la tenue relève de ma compétence. Elles sont sévèrement contrôlées par le service comptable de la Direction de Nancy.

J’accède au grade de lieutenant, j’ai sous mes ordres des sous-officiers surveillants de travaux et conducteurs de travaux, dont les responsabilités sont réparties dans les casernes en fonction de l’importance des chantiers. À cette époque, le ministère de la Défense lance les grands chantiers de rénovation des bâtiments à usage de logement de la troupe, les projets retiennent toute l’attention du ministère. Ainsi, la ville de Rambervillers disposant de deux casernes inoccupées reçoit un détachement en provenance d’un régiment spinalien, ces casernes doivent être mises aux normes pour permettre à cette unité d’exercer sa mission. Un chantier de plusieurs centaines de milliers de francs m’est confié, il y a lieu de créer des blocs sanitaires, un foyer du transmetteur, un atelier de réparation des véhicules, des ateliers techniques, des chaussées, etc …

Que sont devenues ces casernes après le repli de l’unité à Epinal ? La base de Contrexéville et ses satellites appartiennent à l’armée de l’air, dont l’arrondissement assure le suivi des travaux. Sur la base, un programme de grands travaux est lancé. Il y a notamment la construction d’un mess pour les officiers, d’un bâtiment à usage de logement des hommes du rang suivant les normes de l’armée de l’air et sur le site d’Auzainvilliers, des groupes électrogènes sont installés pour assurer le service électrique en cas de défaillance du réseau EDF. Beaucoup d’argent est consacré à des travaux d’entretien sur les différents sites de l’armée de l’air à Contrexéville, à Auzainvilliers et Morville. Que sont devenus ces sites ?

Les casernes spinaliennes reçoivent également leur quote-part de crédits. Nous sommes à l’écoute des chefs de corps qui expriment des besoins. Un exemple : le chef de corps du 170ème Régiment d’infanterie d’Épinal souhaiterait disposer d’un parcours char dans le massif forestier de Razimont, propriété du ministère de la défense. Pour cette réalisation, il sollicite le haut commandement qui ordonne au service des travaux du Génie de vouloir bien procéder à une étude. Le service idoine procède à un lever sur place, prend en considération les desiderata du chef de corps, ouvrages divers, voire compliqués pour permettre aux chars d’évoluer. Il en résulte un avant-projet sommaire chiffré à trente millions de francs. Ce document est transmis au ministère de la Défense qui ne donne pas suite. Je ne me souviens pas à quelle date le commandement a contacté la direction de Nancy en vue d’étudier l’implantation d’un régiment d’artillerie nucléaire. Le chef d’arrondissement, sollicité, a proposé le massif forestier de Razimont, d’une surface de trois cents hectares. Le Général, gouverneur militaire de Metz et commandant la 6ème Région Militaire est venu sur place avec un aréopage d’officiers de différentes armes, en vue de reconnaître le site. D’importants travaux seraient à réaliser, ce site n’a pas été retenu.

Nous avons effectué beaucoup d’études non suivies d’effet. Je citerai une étude que nous reprenions chaque année à la demande de la Direction Centrale de la Gendarmerie : la construction d’un casernement pour le groupement de gendarmerie départementale. L’arrondissement n’a pas été avare de propositions. Finalement la construction de cette caserne a été confiée à un organisme d’habitat civil, comme ce fut le cas pour le casernement de gendarmes mobiles de Saint Étienne lès Remiremont. Nous avions étudié son implantation sur le terrain de manœuvre de cette localité, une ancienne ville de garnison mais notre étude n’a pas été retenue.

L’armée dispose d’un centre d’entraînement de combat en montagne au col des Feignes, à proximité de La Bresse dont elle est locataire (ce domaine appartient, en effet, à une famille bressaude). Ce centre, un peu sommaire, est commandé par un capitaine. Il se compose d’un bâtiment tous usages et d’une baraque Fillod servant de dortoir pour les stagiaires. Selon nos informations, le commandement souhaitait créer un véritable centre qui soit propriété du ministère de la défense. La famille bressaude, consultée, se séparerait volontiers de cette terre. Cette proposition a probablement fait l’objet d’un rapport à l’état-major de la Région. Ayant eu connaissance de cette probabilité, le général Ducournau, gouverneur de Metz et commandant la 6ème Région Militaire à l’époque a ordonné une réunion sur place pour déterminer les besoins de ce futur centre. Après avoir arpenté le terrain, il a exposé clairement son point de vue : "Non Messieurs, le centre ne se fera pas au col des Feignes, je reviens du col de la Faucille dans le Jura, je puis vous assurer que l’endroit est propice, remballez vos dossiers et je vais vous demander, par courrier, d’abandonner ce centre". En effet, le courrier du général ne s’est pas fait attendre, nous avons ordre de faire démonter la baraque Fillod ainsi que le parking constitué de plaques métalliques PSP par des moyens militaires prélevés dans les unités d’Épinal et rendre le bâtiment et le terrain en bon état au propriétaire. Opérations effectuées, les matériels sont entreposés dans le magasin de l’arrondissement.

En 1973, la Direction Centrale du Génie à Paris, me propose une affectation au Centre d’expérimentations de l’arme nucléaire du Pacifique à Mururoa dans l’archipel de Tuamotu pour une année sans famille, alors qu’un de mes adjudants est désigné pour la même destination avec famille en résidence à Papeete, chef-lieu de la Polynésie française. Je refuse cette proposition, ce qui n’affecte pas ma carrière, puisque j’accède au grade de capitaine, nomination parue au journal officiel du 5 juillet 1974.

De même que je prends rang au grade de chevalier dans l’Ordre National du Mérite. Conformément aux directives de la Direction Centrale du Génie, les officiers ayant effectué un séjour de dix années sont mutables. Je remplis les conditions pour changer d’arrondissement. En prévision d’une nouvelle affectation et selon les places disponibles, qui nous sont communiquées, je me rends à l’arrondissement de Draguignan afin de connaître mon éventuelle mission. Je suis reçu par un capitaine qui m’assure que ce serait sur le chantier de construction de l’école d’artillerie. Il y a un gros problème de logement dans cette garnison, les cadres vont loger à soixante kilomètres de leur lieu de travail, ce qui demande réflexion.

Je ne me suis pas attardé à réfléchir, j’ai saisi une opportunité qui m’était proposée dans le secteur privé à mon retour de Draguignan. En effet, le directeur général d’une société de négoce en peinture pour professionnels m’a proposé d’entrer dans cette société en qualité d’adjoint de direction avec des responsabilités de gestion des stocks dans les dépôts de Strasbourg, Mulhouse et Epinal. Ce que j’ai aussitôt accepté pour une durée de dix années. Au préalable, j’ai fait valoir mes droits à pension militaire, attribuée au grade de commandant, rayé des contrôles le 15 juin 1977.

Épilogue

Fils d’un émigré italien arrivé en France en 1924 et naturalisé français en 1934, aîné d’une fratrie de six enfants, né le 29 juillet 1927, avais-je été conçu pour embrasser la carrière militaire ? En tout état de cause, mon père, artisan maçon, m’avait conseillé d’entrer en apprentissage de menuisier ébéniste à l’issue de ma scolarité primaire, car il était hors de question de continuer des études, tandis que ma mère souhaitait que je m’oriente vers un métier de bouche. C’était l’époque de l’occupation allemande, le choix d’un métier, quel qu’il soit, posait problème à cause des difficultés de ravitaillement. J’avais, certes, la possibilité d’entrer en apprentissage chez un menuisier ébéniste à Neufchâteau, ce n’était pas la porte à côté et qui plus est, je devais trouver un hébergement qui aurait été à la charge de mes parents car, à cette époque, l’apprentissage n’était pas rémunéré. En 1943, le boulanger de Bains-les-Bains m’a proposé un emploi dans son fournil, nourriture et logement assurés, ce que j’ai accepté, mes parents étaient ravis car l’aîné était provisoirement casé. Ce métier était-il passionnant ? Avec le recul, je considère que c’était de l’exploitation, car, après six mois de présence, j’avais les coudées franches pour faire les pâtes, tourner et enfourner et cela pour quatre-vingt dix francs par mois, soit quatre-vingt dix centimes des nouveaux francs. Pas de quoi faire la fête !. Un salaire de misère ! Mon patron étant attentif à mes désirs d’aller voir ce qui se passe ailleurs, c’est sur ses conseils que j’ai fait une démarche en 1945, lorsque les relations postales ont été normalisées, auprès de la direction des services maritimes de Marseille en vue d’obtenir un emploi sur un bateau (je ne savais pas ce qu’était le mal de mer). Ma demande d’emploi de boulanger ayant été retenue, j’étais inscrit maritime dans l’attente d’une convocation pour être embarqué, un rêve !

Finalement aucun signe émanant de cet éventuel employeur, las de pétrir, las d’enfourner, ainsi que je l’explique dans mon préambule, j’ai décidé de quitter le fournil pour contracter un engagement. Je voulais aussi me démarquer de mes camarades, d’une part, d’ascendance terrienne, attachés aux vertus des terres de leurs parents et d’autre part, issus de famille de tradition ouvrière, entraient dans la continuité familiale à la filature et tissage des Etablissements Dorget à la Forge de Thunimont..

Ma carrière s’est déroulée du 16 décembre 1946 au 31 mars 1977, en trois phases principales dans l’arme: le Sahara, l’Indochine et l’Algérie, et une phase : le service des travaux du génie qui se rapprochait d’un emploi civil, d’ailleurs combien de permis de construire m’ont été confiés !

J’ai apprécié mon séjour saharien, une vie rude certes mais d’une richesse de couleur, de mœurs, en vérité une vie extraordinaire dans un paysage presque surnaturel.

Dés mon arrivée en Indochine, j’ai compris que ce peuple indochinois était avide de liberté, d’indépendance. Il faut avouer qu’en 1940, nous avions perdu la face, que devaient penser les populations de nos colonies africaines et asiatiques ? Le peuple de France n’était-il pas le peuple du désastre ? La population indochinoise a été très sensible aux promesses du régime communiste comme l’ont été les populations africaines, après le départ des occupants, le train ne serait plus payant, une aubaine et tous les matins le coiffeur raserait gratis. Les politiciens de l’époque n’ont rien compris au problème indochinois. Ah ! Il y avait, certes, des intérêts, ne serait-ce que les plantations d’hévéas. Confronté aux combattants de la liberté, je reconnais qu’ils étaient ardemment accrochés à leur sol, je me suis souvent posé la question "Que faisons-nous dans ce pays ?. Surtout l’accueil au port de Saïgon". Si mon capitaine, tué le 14 juillet 1954, n’était pas sensible aux tracts que nous dispensaient les responsables adversaires, j’avoue que je retenais la leçon, bien que mon statut de sous-officier m’oblige à un devoir de réserve. Malgré nos efforts, il était hors de question de reconsidérer l’Indochine comme une colonie, je crois que le général Leclerc l’avait compris. L’époque de la décolonisation était sur les rails. Ce peuple, épris d’un dynamisme débordant d’ingéniosité, nous démontre, aujourd’hui, sa force industrielle et son appartenance à cette grande Asie.

Quant à l’Algérie, si les fellaghas avaient une connaissance profonde du terrain, ils n’avaient pas l’esprit aussi combatif que le viêt-minh. Ce n’était pas le même style de résistant. Il faut noter que la majeure partie des fellaghas a reçu une formation militaire dans nos rangs avant de rejoindre le maquis. En raison d’une importante présence française sur ce sol, nous espérions que les résistants allaient s’épuiser, par manque d’armes, de munitions et de ravitaillement. Lorsque, en 1958, le général de Gaulle a clamé, lors de sa venue à Alger "Je vous ai compris, la France c’est de Dunkerque à Tamanrasset" ou quelque chose d’approchant. Nous espérions une fin proche de ce conflit par le succès de nos armes, la rébellion étant brisée. Tout espoir est disparu quand nous avons appris que le F.L.N. , soutenu par des nations étrangères, acceptait d’engager des pourparlers avec la France. Derrière tout cela, il y avait un parfum de pétrole. En 1959, nous avions perdu tout espoir de voir la France devenir l’immense territoire que de Gaulle avait envisagé mais savait secrètement que l’Algérie était perdue !

Les conflits indochinois et algériens ont eu un coût exorbitant, quel gâchis ! Combien d’hommes sont morts inutilement ? Les hommes politiques, responsables de ce gâchis, ont-ils réalisé que, par leur décision, ils plongeaient des familles dans la douleur, une douleur qui ne s’effacera jamais ? En 1988, j’ai parcouru une région de l’Algérie, de Sidi-Ferruch à Ghardaïa, j’ai constaté que dans chaque village, un monument aux morts est érigé sur la place centrale, sur lequel figurent tous les noms des martyrs du village concerné. À cela s’ajoute une littérature à caractère colonial, des fresques murales dans les restaurants, des panneaux aux endroits stratégiques dans les villes, telles que Bou Saada, Biskra, El Oued, Ghardaia, représentant les parachutistes français tuant des personnes âgées, tout un arsenal tendant à rappeler la colonisation barbare et la guerre sanguinaire menée par les soldats colonialistes durant huit ans, et par les occupants durant cent trente ans. Et que dire des films tendancieux projetés épisodiquement par canal Algérie, chaîne nationale ? Des ferments de haine, une haine solidement ancrée dans le cœur d’une grande partie des algériens. Par crainte, j’ai dissimulé ma fonction militaire et surtout ma participation au conflit, de même que sur la demande de visa sur laquelle il était demandé si nous avions été un acteur de la guerre coloniale.

La quatrième phase se passe de commentaires, j’ai exercé ma fonction d’officier du cadre technique et administratif en conscience et en restant en règle avec ma conscience, de ce fait, je suis devenu, je l’avoue humblement, un militaire déshabitué à vivre durement et dangereusement par rapport à ce que j’ai vécu dans l’arme. Je ne m’écoutais jamais même si je me sentais fatigué, je continuais à travailler, un responsable doit s’imposer une discipline mentale et surtout s’y tenir. Les notes annuelles qui me furent attribuées par mes directeurs de travaux faisaient état de mon attachement à des valeurs qui s’appellent : ponctualité, ténacité et volonté !. Je les en remercie, j’ajouterai que dans les différentes fonctions que j’ai occupées, le bien le plus précieux mais le plus difficile à gérer, c’était les hommes qui m’étaient confiés. Je leur rappelais sans cesse que dans toutes situations, il faut toujours donner le meilleur de soi (sic).

Je viens de rédiger, de mémoire, les faits notoires de ma carrière militaire, sans entrer dans le détail, la sagesse commande que la vérité, rien que la vérité soit mise en évidence afin d’éclairer la lanterne des historiens, si d’aventure mon récit est lu par l’un d’eux. Par ailleurs, en possession de quelques souvenirs glanés au cours de mon séjour en Indochine, tels que tracts, argent viêt-minh, compte-rendu du franc-tireur etc… ayant eu connaissance de l’organisation d’une exposition relative à la guerre qui s’est déroulée dans ce pays, j’ai fait don de ce que je possédais à l’association des anciens d’Indochine et par voie de conséquence, aux Archives Départementales des Vosges. J’ai été agréablement surpris de constater, avec quelle méticulosité, le classement de mes objets avait été effectué. À la suite de quoi, Madame Isabelle CHAVÉ, Directrice des Archives Départementales m’a demandé si j’étais en mesure de procéder à une participation biographique sur les grandes lignes de ma carrière militaire afin d’enrichir, préserver et valoriser les archives militaires. J’ai accepté avec plaisir en me réservant un délai de réalisation. Si je devais faire une biographie sur ma vie de retraité, il me suffirait de consulter mes semainiers car, depuis 1988, je note chaque soir mon emploi du temps. Ma retraite, c’est une foultitude d’occupations, le jardinage, le secrétariat des Aînés Ruraux, la gestion d’un club de tennis, la messagerie d’internet, la lecture quotidienne des journaux nationaux, voire étrangers : le Devoir de Québec, El Moudjahid ou El Vatan et encore Liberté d’Alger, le Soir de Casablanca et bien d’autres…C’est la richesse que nous apporte internet. Je ne suis pas du genre à prendre mes quartiers devant un écran de télévision.

Harsault le 1er septembre 2009.

Et ensuite…… ayant mis fin prématurément à ma carrière, selon la direction centrale du Génie Militaire, j’avais la faculté de continuer jusqu’à l’âge de 58 ans. Or, je souhaitais continuer dans une autre branche, le secteur privé et c’est la raison pour laquelle, je suis entré à la société VILAIR, incluse dans le groupe ZOLPAN, dont le siège était à LYON, ayant deux usines de peinture en Savoie et une usine de produits pulvérulents à Chalon sur Saône, en qualité de directeur adjoint, ayant des responsabilités à Mulhouse et à Strasbourg. C’était une autre voie, celle du négoce, négoce de la peinture, du papier peint et des revêtements de sols, une voie très attractive que j’ai exercée durant dix années. Retraite définitive au 31 juillet 1987.

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N
J'avais eu le privilège de la lire (sans les photographies), en avant-première donc, quand Pierre Broggini avait eu la bonté de me contacter lors de mon &quot;enquête&quot; à propos de la famille Marchand. <br /> Je suis content de la lire à nouveau sur ce site « parce qu'il le vaut bien ».
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L
C'est effectivement une carrière bien remplie et bien retracée.