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LES VOIVRES 88240

Quand le Val de Vôge a décidé qu'il ne voulait pas mourir

Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front

Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front

Pendant longtemps le travail aux champs n'a eu que peu de points communs avec certains tableaux de Watteau. Faner ce n'était pas, comme le disait Madame de Sévigné, "batifoler dans les champs". En fait même après que la grande majorité des cultivateurs se soient équipés de tracteurs dans les années soixante, leur travail était très pénible. Une grande partie de celui-ci se faisait encore à la main et il fallait porter de lourdes charges à longueur de journées.

Charge, le seau d'eau tiré au puits, à la fontaine et même au robinet qu'il fallait amener à l'écurie pour abreuver le bétail quand il n'était pas possible qu'il aille à un point d'eau.

Charge, les seaux de lait et les bidons pleins qui étaient mis dans la fontaine pour être refroidi.

Charge, les curages de l'écurie, le chargement et déchargement des tombereaux de fumier et l’épandage avec une fourche à quatre dents.

Charge, durant la fenaison et la moisson, la plantation et la récolte des pommes de terre, celle des betteraves fourragères ou des fruits.

Aujourd'hui il est possible d'engranger des dizaines d'hectares de foin sans avoir à porter autre chose que les pelotes de ficelle agricole qui seront mises dans la presse pour nouer les balles.

Tout est mécanisé, faucheuse, faneuse, andaineuse, presse, porte-engin pour charger et décharger la récolte.

Ce n'est pas pour cela que le métier est de tout repos mais ce n'est plus pour les mêmes raisons.

Et pourtant tout ce labeur était non seulement accepté par les anciens, et je parle là de la génération de mes parents et grands-parents, mais ils donnaient l'impression qu'il fallait se donner beaucoup de peine pour que ce travail ait de la valeur.

Le vieux principe inculqué par des siècles de foi chrétienne :

"-Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front."

L'antique malédiction jetée à Adam et Eve. Oui da, en attendant ce n'était pas les curés qui s'échinaient.

Souvent les femmes et les enfants étaient en première ligne. Quand pendant la fenaison l'homme conduisait le tracteur qui remorquait la fourragère, son épouse ou un grand gamin tirait l'arc pour récolter quelques maigres brins de foin supplémentaire.

Au néolithique les premières meules utilisées pour moudre le grain étaient actionnées par des hommes. L'étude des squelettes montre ensuite que ce sont les femmes qui étaient employées à cette tâche. De même quand il fallait aider la vache à tirer la charrue ou l'herse : la femme au licol et l'homme aux mancherons.

Et très souvent une partie de ce travail était strictement inutile. C'était les sacs de blé remplis avec 100 kg pile poil que l'on versait, arrivé au moulin, dans la fosse dont la bascule pesait la récolte.

C'était les balles de foin alignées par 4 comme au cordeau pour être chargées une heure après.

C'était le foin grappillé dans la tisse sur le grenier avec un crochet à une dent pour ne pas trop en prendre d'un coup.

C'était une partie du jardin faite à 500 mètres ou à 1 kilomètre, ce qui obligeait à des allers et retours sans nombre pour l'entretenir ou chaque fois qu'il fallait un chou ou un panier de haricots.

Alors qu'il y avait toute la bonne terre voulue devant la ferme et que cela permettait aux maraudeurs d’opérer en toute tranquillité.

C'était pendant le battage les sacs de grains qui étaient montés à dos d'homme au deuxième étage par des escaliers branlants et redescendus en catastrophe pour être séchés quand la neige passait sous les tuiles lors d'une tempête et mouillait la graine.

Le pire de toute cette géhenne, ce qui s'apparentait plus à de la torture qu'à une simple corvée, était sans doute l’épandage des phytosanitaires au Vermorel. Quel utilisateur masochiste pouvait accepter de porter sur son dos cet appareil conçu par un constructeur sadique, de souffrir pendant des heures sans que quiconque ait jamais pensé à remplacer les minces bretelles de cuir qui se vrillaient sur vos épaules et vous les sciaient, par des attaches bien larges et rembourrées ? Pourtant à ma connaissance, je n'ai jamais vu personne le faire.

Malgré tout, ces hommes et femmes qui se seraient usés les jambes jusqu'aux genoux pour récolter une feuille de betterave supplémentaire, savaient faire la fête et rire quand l'occasion s'en présentait.

En est-il encore de même aujourd'hui ? Le taux de suicide dans la profession permettrait d'en douter.

 

Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front

Une terre au flanc maigre

Une terre au flanc maigre, âpre, avare, inclément,
Où les vivants pensifs travaillent tristement,
Et qui donne à regret à cette race humaine
Un peu de pain pour tant de labeur et de peine ;
Des hommes durs, éclos sur ces sillons ingrats ;
Des cités d'où s'en vont, en se tordant les bras,
La charité, la paix, la foi, sœurs vénérables ;
L'orgueil chez les puissants et chez les misérables ;
La haine au cœur de tous; la mort, spectre sans yeux,
Frappant sur les meilleurs des coups mystérieux ;
Sur tous les hauts sommets, des brumes répandues ;
Deux vierges, la justice et la pudeur, vendues ;
Toutes les passions engendrant tous les maux ;
Des forêts abritant des loups sous leurs rameaux ;
Là le désert torride, ici les froids polaires ;
Des océans émus de subites colères,
Pleins de mâts frissonnants qui sombrent dans la nuit ;
Des continents couverts de fumée et de bruit,
Où deux torches aux mains rugit la guerre infâme.
Où toujours quelque part fume une ville en flamme,
Où se heurtent sanglants les peuples furieux ; —

Et que tout cela fasse un astre dans les cieux !

Octobre 1840.

Victor Hugo

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