Quand le Val de Vôge a décidé qu'il ne voulait pas mourir
11 Janvier 2017
Lundi 12 heures 10 mn. J'arrive à la maison, sortant de la mairie et j'entends l'eau pulser dans la tuyauterie de la salle de bain. Ho, là, là, y aurait il une fuite, la plomberie a t'elle explosée ?
"-C'est moi papounet."
Je reconnais la voix de ma fille, Claire, et entre à la cuisine où elle m'explique la gravitude , merci Ségo, de leur situation.
Pas d'eau sous la yourte. Gelée. Cela fait un mois qu'elle flirte avec cette situation. Mais plus grave, plus d'eau dans la salle de bain que Pierre-Olivier a installée il y a quelques années à la Guinguette. Il ne restait qu'une seule solution. Déclancher le plan Orsec et, et.
Venir se laver chez papounet au Chaudiron et faire sa lessive par la même occasion tout en se réchauffant en mangeant une potée de légumes + piments du René, le voisin serriste + curry.
Bon, le redoux arrive. Mais il faut reconnaître que chaque fois que le thermomètre tombe, quand tout le monde y compris la page Météo des Vallées nous dit :
"-Pensons aux plus démunis. "
Nous cliquons "J'aime" et puis basta. Chacun ses problèmes. Il n'y a pas de sans abris à Les Voivres. Il n'y a pas de sans-abris, il y a des abris précaires. Il y a des personnes avec des revenus très faibles. Pas seulement sous les yourtes, qui grâce au poële, ne manquent pas de chaleur mais connaissent cependant les vents coulis. Egalement sous la Guinguette, - 12 ° a relevé Pierre-Olivier ce matin quand il est venu y travailler ou plutôt s'y congeler.
Comment ont ils fait ? se demande Claire en pensant à ce qu'ont du endurer, chaque fois que la température chutait, Pierre-Olivier, Aurélie, Evenn, Pauline et Romain.
Pour ma part, je suis ressorti de là avec un rhume carabiné l'an passé, alors que dehors on atteignait au pire les - 10 °.
Pas les - 20° des jours derniers.
Catherine Spitz voudrait, pour ces raisons et pour d'autres, voir avec la mairie s'il ne serait pas possible de mieux aménager la Guinguette. Laissons là faire, c'est une bonne négociatrice, mais il est vrai que le bâtiment n'est qu'un toit sans isolation. Bien chaud l'été. Bien froid l'hiver. Il y a là de quoi décourager un repreneur potentiel.
No fire. C'était et c'est encore la limite Sud en dessous de laquelle les Inuits, les Esquimaux, n'avaient pas le droit de descendre. Dès lors que les épinettes du Grand Nord ne pouvaient plus pousser, dès lors qu'il n'était plus possible de faire un feu de bois, les Indiens d'Amérique du Nord ne voulaient pas s'aventurer dans ces territoires et avaient établi cette frontière. Descendants tous de peuples asiatiques, ils avaient traversé le détroit de Béring, l'été en canoë ou l'hiver sur la banquise. Certains sont descendus jusqu'à la Terre de Feu. D'autres se sont installés en Amérique centrale et du Nord. Une seule règle semble établie. Repousser ou contenir les plus faibles dans les régions les plus hostiles. C'est ainsi que les Fuegiens ont été découverts au Cap Horn et condamnés à mourir de tuberculose et de pneumonie par les missionnaires imbéciles.
C'est ainsi que les Inuits étaient empêchés de descendre aux limites où les arbres poussaient.
Y aura t il à Les Voivres toute une partie de la population qui sera condamnée de vivre No Fire sous la yourte ou ailleurs parce que les bâtiments sont mal isolés ou qu'elle n'a pas les moyens de les chauffer correctement.
C'est souvent nos frères, nouveaux venus dans la commune, qui grelottent aujourd'hui. Ce sont eux aussi, s'ils restent, qui permettront demain le maintien de la population à Les Voivres. Ainsi, le site de l'Habitat groupé en yourte reçoit régulièrement des personnes qui voudraient s'installer là.
En leurs assurant aujourd'hui des conditions de vie moins spartiates, peut-être consoliderons nous la survie de la commune ?
No Fire. Pour qui ? Pour eux maintenant ? Pour nous demain ?