Quand le Val de Vôge a décidé qu'il ne voulait pas mourir
9 Septembre 2016
Jorge Semprun, L’Ecriture ou la vie, 1996
L’essentiel ? Je crois savoir, oui. Je crois que je commence à savoir. L’essentiel, c’est de parvenir à dépasser l’évidence de l’horreur pour essayer d’atteindre à la racine du Mal radical, das radikal Bose.
Car l’horreur n’était pas le Mal, n’était pas son essence, du moins. Elle n’en était que l’habillement, la parure, l’apparat. L’apparence, en somme. On aurait pu passer des heures à témoigner sur l’horreur quotidienne sans toucher à l’essentiel de l’expérience du camp.
Même si l’on avait témoigné avec une précision absolue, avec une objectivité omniprésente – par définition interdite au témoin individuel – même dans ce cas on pouvait manquer l’essentiel. Car l’essentiel n’était pas l’horreur accumulée, dont on pourrait égrener le détail, interminablement. On pourrait raconter n’importe quelle journée, à commencer par le réveil à quatre heures et demie du matin, jusqu’à l’heure du couvre-feu : le travail harassant, la faim perpétuelle, le permanent manque de sommeil, les brimades des Kapo, les corvées de latrines, la « schlague » des S.S., le travail à la chaîne dans les usines d’armement, la fumée du crématoire, les exécutions publiques, les appels interminables sous la neige des hivers, l’épuisement, la mort des copains, sans pour autant toucher à l’essentiel, ni dévoiler le mystère glacial de cette expérience, sa sombre vérité rayonnante : la ténèbre qui nous était échue en partage. Qui est échue à l’homme en partage, de toute éternité. Ou plutôt, de toute historicité.
- L’essentiel, dis-je au lieutenant Rosenfeld, c’est l’expérience du Mal. Certes, on peut la faire partout, cette expérience… Nul besoin des camps de concentration pour connaître le Mal. Mais ici, elle aura été cruciale, et massive, elle aura tout envahi, tout dévoré… C’est l’expérience du Mal radical…
Parce que Jorge Semprun réussit à raconter ce qui ne peut l'être j'ai copié un extrait de son livre "L'écriture ou la vie" dans cet l'article. Je ne peux faire un Devoir de Mémoire en faisant une liste des participants et personnalités. Il faut parler des morts, des survivants et de ce qu'ils ont enduré. Eux seuls ont droit se faire entendre.
La plupart des déportés ont longtemps hésité à parler de ce qu'ils avaient vécu. Peut être n'avaient ils pas les mots pour le dire, ou bien savaient ils que personne ne pourraient comprendre ?
Mais parler de cette horreur ne libère pas forcément. Ils sont nombreux ceux qui comme Primo Levi ou Bruno Bettelheim, certainement hantés par leurs souvenirs, se sont suicidés des années après en avoir fait le récit. Chacun de ces drames est une nouvelle victoire des bourreaux.
C'est pour les vaincre, pour essayer d'empêcher les massacres que d'autres pourraient vouloir renouveler qu'il faut parler encore et toujours de ces événements au nom des déportés qui ne peuvent plus ou n'ont pas voulu le faire.
"-Ils étaient le mal".
A des années de distance, les paroles d'un ancien déporté qui, à côté de moi parle avec un ami, résonne dans ma tête avec celles de Jorge Semprun.
"-Ils étaient le mal"
Ce n'est pas n'est pas seulement aimer torturer, prendre son pied à tuer anéantir, détruire. C'est nier l'humanité. Ein Stuck. Qui peut prétendre être un homme en appelant un autre homme ainsi ? Encore une fois les imbéciles patentés, les fous ignorants qui veulent nous faire croire que l'on peut surfer avec cette philosophie se trompent et veulent nous tromper.
Le Mal, c'est détruire l'Homme. Encore une fois rappelons à ceux qui voudraient faire revivre les miliciens, la bande à Laffont, les Déats et autres fumiers que le Mal a pour but de TOUT éliminer, tout à part le Fuhrer, le Duce, le Petit Père des Peuples, Pol Pot et autres pantins.
A des années de distance, j'essaie de comprendre. Après avoir lu Jorge Semprun, Primo Levy, Martin Grey , Bruno Bettelheim et des dizaines d'autres encore. Mais je ne peux qu'imaginer ce que décrit Jorge Semprun.
Je ne peux me mettre à la place des déportés, ressentir ce qu'ils ont vécu.
Comment réussir à survivre jour après jour dans l'horreur absolue en s'attendant à chaque instant, à chaque seconde à être humilié, battu, torturé, exécuté par des fous sadiques ?
Aujourd'hui où le moindre problème nous effraie, où l'on voudrait tout planifier comment comprendre ce que pensait l'Homme qui savait pouvoir mourir à chaque instant ?
Après la messe célébrée par le père Devillard, le colonel Boban remercia l'assistance regrettant que le SAS britannique retenu ailleurs n'ait pu venir.
Il évoqua les 367 hommes réunis ici il y a 72 ans et ceux du maquis du Morillon
Il rend hommage aux 120 résistants du maquis de Grandrupt de Bains, morts en déportation, aux 6 fusillés du maquis du Morillon, à l'abbé Mathis fusillé à Hennezel et au séminariste de 18 ans Jacques Marion. Les allemands l'avaient emmené avec eux. On retrouva son corps dépouillé de sa soutane, aux environs d'Epinal, à côté de 3 autres cadavres, la nuque percée d'une balle.
La chorale, la Balnéenne et les sapeurs pompiers du centre de Bains les Bains chantent le Chant des Marais ou Chant des déportés composé en 1933 par des prisonniers, détenus politiques du camp de concentration de Börgemoor dans le Pays de Ems en Basse-Saxe.
Loin vers l’infini s’étendent
Des grands près marécageux.
Pas un seul oiseau ne chante
Sur les arbres secs et creux.
REFRAIN
O, terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Piocher.
Dans le camp morne et sauvage
Entouré de murs de fer
Il nous semble vivre en cage
Au millieu d'un grand désert
Bruit des pas et bruit des armes,
Sentinelles jour et nuit,
Et du sang, des cris, des larmes,
La mort pour celui qui fuit.
Mais un jour dans notre vie,
Le printemps refleurira
Libre enfin, ô ma patrie,
Je dirai tu es à moi.
REFRAIN
O, terre d’allégresse
Où nous pourrons sans cesse
Aimer.
Et sans cesse me revient la vision de Vercors dans "Le Silence de la Mer"
"Nous ne sommes pas des fous ni des niais. Nous avons l'occasion de détruire la France, elle le sera. Pas seulement sa puissance, son âme aussi. Son âme surtout. Son âme est le plus grand danger."
Ce fut ensuite le Chant des Partisans qui fut interprété, l'hymne de la résistance française pendant l'occupation La musique composée sur un texte à l'origine russe est de la française Anna Marly, ancienne émigrée russe qui en 1940 avait gagné Londres.
Les paroles en français ont été écrites par Joseph Kessel, également d'origine russe et par son neveu Maurice Druon.
Le Chant des partisans
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu´on enchaîne?
Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c´est l´alarme.
Ce soir l´ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes.
Montez de la mine, descendez des collines, camarades!
Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades.
Ohé, les tueurs à la balle et au couteau, tuez vite!
Ohé, saboteur, attention à ton fardeau : dynamite...
C´est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères.
La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère.
Il y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves.
Ici, nous, vois-tu, nous on marche et nous on tue, nous on crève...
Ici chacun sait ce qu´il veut, ce qu´il fait quand il passe.
Ami, si tu tombes un ami sort de l´ombre à ta place.
Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes.
Sifflez, compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute...
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne?
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines?
Oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh...
Et c'est encore Primo Levi qui me vient à l'esprit. Le doux Primo Levi habitué de la Dolce Vita. Le juif que le gouvernement de Mussolini malgré ces rodomontades a su protéger comme ceux qui s'étaient en France réfugiés dans le canton niçois. Il s'est retrouvé piégé par la bestialité des nazis quand ils ont occupé l'Italie.
Un couple de ses amis descend d'un convoi de la mort. Ils ont réussi à se battre pour protéger leur fillette. Ils ont même pu, imaginez cela, à force d'amour, lui donner un bain pour lui éviter la déshydratation.
Elle sera gazée en arrivant. Saloperies.
il sait qu'il va mourir s'il ne trouve pas un emploi dans un bureau. Il sait que sur le chantier, même en atteignant la norme, les rations ne compenseront pas les dépenses en calories.
Une nouvelle machine est arrivée. Il sait le faire, il va le faire. Il va la mettre en route. En fait il n'y connait rien.
"-Mais c'est quoi ce modèle ? Ne me dites pas que vous travaillez avec des machines aussi obsolètes ?"
Son bourreau l'a cru. Il a gagné un sursis pour quelques minutes, quelques heures, quelques jours.
Le pur aryen qu'admire tant le pur français surfant sur les réseaux sociaux pour propager ses idéaux pourris, le pur tas de merde a été bluffé par ein stuck.
Combien de fois lisons nous ces appels à la discrimination, à l'intolérance, à rejeter les autres ? Et combien de fois, parce que nous connaissons la personne qui partage cela sommes nous restés silencieux sans leurs dire de se taire ?
Ceux qui connaissent comprendront. Pour les autres ils suffit de dire que sur ces 4 photos sont réunis comme dans de nombreuses cérémonies, un grand père porte drapeau, sa petite fille JSP, ses deux filles, l'une SPV, et l'autre musicienne.
Mrs Michel Fournier président de la Com Com du Val de Vôge, Frédéric Drevet, maire de Bains les Bains.
Mr Roland Thomas, Jacques Poirot, Roger Mathieu, résistants, déportés déposent la première gerbe.
Evocation avec Aragon de l'année 1942, des morts, des souffrances, des camps et des fours crématoires.
Elsa au miroir
C'était au beau milieu de notre tragédie
Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d'or je croyais voir
Ses patientes mains calmer un incendie
C'était au beau milieu de notre tragédie
Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit
C'était au beau milieu de notre tragédie
Qu'elle jouait un air de harpe sans y croire
Pendant tout ce long jour assise a son miroir
Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit
Qu'elle martyrisait à plaisir sa mémoire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir
A ranimer les fleurs sans fin de l'incendie
Sans dire ce qu'un autre à sa place aurait dit
Elle martyrisait à plaisir sa mémoire
C'était au bon milieu de notre tragédie
Le monde ressemblait à ce miroir maudit
Le peigne partageait les feux de cette moire
Et ces feux éclairaient des coins de ma mémoire
C'était au beau milieu de notre tragédie
Comme dans la semaine est assis le jeudi
Et pendant un long jour assise à sa mémoire
Elle voyait au loin mourir dans son miroir
Un à un les acteurs de notre tragédie
Et qui sont les meilleurs de ce monde maudit
Et vous savez leurs noms sans que je leur aie dit
Et signifient les flammes des longs soirs
Et ses cheveux dorés quand elle vient s'asseoir
Et peigner sans rien dire un reflet d'incendie
ARAGON
Nous laisserons la conclusion à ce journaliste russe correspondant de l'Armée Rouge qui a découvert Tréblinka.
Des savants, des sociologues, des criminalistes, des psychiatres, des philosophes se demandent comment tout cela a pu se produire. Doit-on en rechercher la cause dans certains traits organiques, l'hérédité, l'éducation, le milieu, les conditions extérieures, une fatalité historique, la volonté criminelle des dirigeants ? Les embryons du racisme, qui semblaient si comiques, exposés par des professeurs charlatans et d'indigents théoriciens de clocher dans l'Allemagne du siècle dernier; le mépris du philistin allemand pour le Russe, le Polonais, le Juif, le Français, l'Anglais, le Grec, le Tchèque; cette outrecuidante conviction, toute gratuite, de la supériorité des Allemands sur les autres peuples, placidement raillée par les publicistes et les humoristes, tout cela brusquement, en l'espace de quelques années, a dépouillé ses traits « enfantins » et pris les proportions d'un péril mortel pour l'humanité, la vie et la liberté; tout cela a été une source de souffrances incroyables, a fait couler des fleuves de sang et multiplié le crime; certes, il y a là matière à réflexion !
Des guerres comme celle-ci sont horribles. Mais c'est trop peu aujourd'hui de parler de la responsabilité de l'Allemagne. Disons-nous bien que tous les peuples, que chaque citoyen du monde répond de l'avenir.
Aujourd'hui chacun est tenu, devant sa conscience, devant son fils et devant sa mère, devant sa Patrie et devant l'humanité, de répondre, de toute son âme et de toute sa pensée, à la question suivante : d'où vient le racisme ? Que faut-il pour que le nazisme, l'hitlérisme ne renaissent jamais plus, ni d'un côté ni de l'autre de l'Océan?
L'idée impérialiste de « supériorité » nationale, raciale, etc., a logiquement conduit les hitlériens à créer les camps de Majdanek, Sobibor, Belzyce, Oswiencim, Treblinka.
N'oublions pas que de cette guerre les fascistes garderont non seulement l'amertume de la défaite, mais aussi le voluptueux souvenir des assassinats en masse aisément effectués.
C'est ce que doivent se rappeler, âprement et jour après jour, ceux à qui sont chers l'honneur, la liberté et la vie de tous les peuples, de toute l'humanité.
L'enfer de Tréblinka
Vassili Grossmann
A la fin de la cérémonie, impressionnant défilé de Tractions Avant rutilantes. Si tout le monde les a vues dans les films traitant de cette époque, elles ne devaient pas évoquer que des bons souvenirs pour certains participants à cette cérémonie.
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La Citroën Traction Avant est une automobile produite par le constructeur français Citroën de 1934 à 1957. Son histoire est liée dans la mémoire collective à l'Occupation, tour à tour voiture de la Gestapo et icône de la Résistance. Elle est également le véhicule préféré des gangsters en raison de qualités routières exceptionnelles pour son époque.
Cette automobile dispose alors d'une particularité rare sur les automobiles de sa catégorie : les roues motrices sont celles du train avant. La traction est l'innovation première de cette voiture. Cette technique est rapidement associée en France à la Citroën, ce qui lui vaut son surnom, « Traction », et plus tard le pléonasme « Traction avant ». La vraie nouveauté est d'associer sur un même véhicule les solutions les plus modernes de l'époque : en plus du mode de transmission, une structure monocoque, des freins hydrauliques et une suspension à roues indépendantes sur les 4 roues. La Traction Avant bénéficie quoi qu'il en soit d'une meilleure tenue de route que la plupart de ses contemporaines, ce qui attise l'imagination des publicitaires : « La Traction Avant dompte la force centrifuge ». Sans cesse améliorée par André Lefèbvre, cette Citroën a ouvert la voie à la production en grande série de véhicules équipés de cette technique, ses qualités lui valant une longue carrière et une production de 760 000 exemplaires